Pour les banques centrales, les (bonnes) raisons de détenir de l’or ne manquent pas : donner plus de légitimité à la monnaie nationale, garantir son équilibre monétaire en cas de crise ou même… pour se financer en cas de difficultés. Si bien qu’au cours de l’année 2023, certains États se sont distingués par leur volonté à augmenter leurs stocks, tandis que d’autres ont vendu pour disposer de liquidités rapidement. Tour du monde des stocks d’or des nations !
Pourquoi les banques centrales achètent (et détiennent) de l’or ?
Les banques centrales gèrent les réserves de change d’un pays. En général, comme n’importe quel épargnant, les banquiers centraux évitent de mettre tous leurs œufs dans le même panier. Ainsi, chaque État va détenir plusieurs monnaies sous forme de bons du Trésor. Les réserves monétaires sont aussi en grande partie composées de dollars. Les volumes en euros ou autres monnaies restent assez anecdotiques. Cette proportion rend les économies dépendantes au dollar.
L’or une monnaie universelle
L’or est la seule valeur reconnue mondialement actuellement, avec le dollar (jusqu’à maintenant). En cas de besoin, il est possible d’obtenir des liquidités, d’échanger des matières premières ou même des armes contre de l’or. L’exemple de l’attitude de Poutine est assez révélateur : le président russe avait visiblement prévu l’éventualité des sanctions économiques occidentales avant d’enclencher le conflit avec l’Ukraine. Il avait considérablement renforcé le stock d’or de la Russie.
Réduire la dépendance au billet vert américain
Dans une enquête publiée en mai 2023, le World Gold Council (WGC) se penche sur les raisons pour lesquelles les banques centrales se sont massivement tournées vers l’or en 2022 et en 2023. Jusque récemment, le dollar était la référence : entre 2010 et 2020, la part du billet vert dans les réserves de change oscillait plutôt entre 60 et 64 %. Depuis 2021, elle est descendue en-dessous de 60 %. Pour la moitié des institutions interrogées par le WGC, cette part pourrait encore reculer jusqu’à 40 ou 50 %.
L’or : un cours contracyclique
Quand les monnaies flanchent, la bourse s’effondre, le cours de l’or a plutôt tendance à augmenter. L’or permet ainsi d’équilibrer les réserves monétaires même si le cours des dettes souveraines s’effondre. Lorrsque les taux ont été relevés, les « vieilles dettes » à taux 0 ou presque ne trouvaient plus d’acheteurs. C’est comme cela que certaines banques régionales américaines ont fait faillite.
L’or une valeur refuge pour les banques centrales aussi
Si c’est une « assurance » pour le patrimoine d’un particulier, pourquoi l’or ne serait pas une « assurance » pour une nation, et notamment pour sa banque centrale ? Finalement, c’est la même chose. Il n’y a que les volumes qui changent.
Quelles sont les banques centrales qui achètent le plus d’or ?
Au fil de l’année 2023, plusieurs banques centrales se sont fait remarquer par leurs achats d’or : celles de la Chine, de la Pologne et de Singapour. Mais également la banque centrale turque, qui a acheté, puis revendu. Leurs différents objectifs illustrent bien le rôle que prend le métal précieux dans les réserves de change d’une nation.
La Chine : donner plus de poids au yuan et proposer une alternative au dollar
En 2023, la Banque populaire de Chine (BPC) a donné une belle allonge à ses réserves en or : 224,88 tonnes ont été ajoutées au stock de l’Empire du Milieu. Et on rappelle qu’il s’agit là de données officielles : les tonnes extraites des mines locales ne sont pas obligatoirement comptabilisées. Cela ne fait que quelques années que la Chine communique plus volontiers sur ses stocks d’or pour légitimer le yuan.
Elle occupe actuellement le 6e rang des nations qui détiennent le plus d’or, avec un total de 2 235,39 t d’or. Et là aussi, ce sont les chiffres officiels communiqués par la BPC. Plusieurs raisons expliquent cet intérêt pour le métal précieux. Il faut y voir une volonté de diversifier les réserves de change et de réduire la dépendance au billet vert, mais aussi d’asseoir un peu plus le yuan. La devise chinoise est en effet de plus en plus utilisée dans les échanges avec certains États (comme la Russie), comme alternative au billet vert américain.
La Pologne : disposer de garanties monétaires fortes dans un contexte de conflit proche
A l’est de l’Europe, la Pologne renforce son stock d’or régulièrement depuis 2018. Elle possède désormais plus d’or que le Royaume-Uni.
130 tonnes de plus au cours de l’année 2023
En 2018, le gouverneur de la banque centrale polonaise avait annoncé vouloir augmenter les réserves d’or du pays. Et l’institution polonaise a gardé le même cap depuis lors : entre 2018 et 2021, les Polonais ont augmenté leur stock de 125 tonnes. Sur la seule année 2023, 130 de plus ont été ajoutées au trésor national. Le stock polonais atteint 358,69 t. Soit 48 de plus que le Royaume-Uni. La Pologne occupe la 15e place du classement des pays qui détiennent le plus d’or.
Pourquoi cette stratégie d’achat d’or en Pologne ?
La stratégie est claire dès 2018 : les réserves d’or doivent assurer la souveraineté économique. La Pologne fait partie de l’Union européenne mais frappe encore sa propre monnaie, le zloty. Elle a donc besoin de garanties monétaires fortes et universelles. L’or est considéré comme le support idéal pour assurer cette souveraineté. En cas « d’attaque monétaire », l’or détenu dans les coffres pourra garantir une certaine stabilité. Et c’est encore plus vrai lorsque l’Ukraine voisine est en guerre avec la Russie.
Singapour : se prémunir d’une crise financière
L’Autorité monétaire de Singapour, la MAS, s’est montrée très discrète sur les raisons pour lesquelles elle a acheté autant d’or ces dernières années. De fait, elle augmente régulièrement son stock depuis 2021, alors qu’il n’avait pas évolué en 20 ans.
Ainsi, sur la seule année 2023, Singapour a acheté 76,28 tonnes d’or. L’île en possède désormais 230 et il figure au 24e rang mondial des détenteurs d’or. Comme c’était le cas en 2021, il s’agit visiblement de consolider et garantir le dollar de Singapour.
L’anecdote : En 1968, soit trois ans après son indépendance, Singapour avait acheté une centaine de tonnes d’or auprès de l’Afrique du Sud. Sous le radar puisque l’or sud-africain était encore sous embargo.
La Turquie : acheter pour pouvoir revendre… et disposer de liquidités
Si la posture de la Pologne est impressionnante, celle de la Turquie est surprenante. De fait, la politique turque en matière d’or illustre comment le pays compte sur son stock d’or pour faire face aux crises.
J’achète, puis je revends, puis j’achète
Depuis plusieurs années, le gouvernement Erdogan avait fait le choix de stocker de l’or. En effet, la livre turque avait été attaquée par Donald Trump et l’hyper inflation était violente. Entre début 2021 et fin 2022, les réserves turques sont passées de de 392 à 571 tonnes !
Début 2023, retournement complet de situation. Ankara vend 132 tonnes d’or ! Et plutôt à bon prix puisque le cours est assez élevé.
Sur le deuxième semestre de l’année, la Turquie se met de nouveau à acheter de l’or : 100 t de métal précieux reprennent le chemin des coffres de l’État. Si bien qu’à la fin de l’année, Ankara reste la 11ème plus grosse détentrice d’or dans le monde avec 540 tonnes.
Pourquoi vendre autant d’or en un semestre ?
Si on fait la conversion en dollars d’une vente de 132 000 kilos d’or, on obtient plus de 8 milliards de dollars. L’économie turque serait-elle exsangue au point de devoir récupérer rapidement des liquidités ? Peut-être que cet or n’a pas été transformé qu’en billets verts ? Le rapport du World Gold Council où sont mentionnés ces chiffres ne le précise pas.
Dans un contexte géopolitique tendu autour de la mer Noire, on peut se poser la question. La Turquie joue un rôle important dans le conflit entre les Ukrainiens et les Russes. Il n’a échappé à personne que le détroit du Bosphore (Istanbul) est le passage obligé pour les cargos qui viennent des ports de la Mer Noire pour livrer leurs cargaisons en Europe et au Moyen-Orient. On peut imaginer que les Russes, qui n’ont plus accès aux monnaies occidentales, acceptent l’or dans le commerce international. Est-ce pour cela qu’Erdogan s’est précipité pour rencontrer Poutine en juillet, quand le dirigeant russe a décidé de rompre l’accord de non-agression des navires de commerce en Mer Noire ?
Pour aller plus loin
Le dessous des cartes consacré aux relations entre la Turquie et la Russie
L'émission d'Arte traite de la reprise du dialogue entre Recep Tayyip Erdoğan et Vladimir Poutine sur les questions d'agriculture et de gestions maritimes.
Quelles nouvelles dynamiques de vente et d’achat d’or en 2024 ?
Entre 2023 et 2024, les banques centrales ont pu changer leur fusil d’épaule, comme le montrent les chiffres du World Gold Council (mai 2024). C’est le cas de la Turquie, comme on l’a vu précédemment. Et dans les autres pays ?
L’Ouzbékistan continue à vendre
Le pays s’est ainsi séparé de 13,7 tonnes d’or au cours du premier semestre 2024. Comme il avait déjà vendu 24,5 tonnes d’or en 2023, cela porte les réserves du pays à 371,37 tonnes. Cette ancienne république soviétique a néanmoins encore des réserves dans son matelas puisqu’elle possède plus d’or que l’Arabie Saoudite (323 tonnes) ou la Grande-Bretagne (310 tonnes).
Le Kazakhstan achète 17 tonnes d’or en un trimestre
Autre ancienne république soviétique, le Kazakhstan a plutôt choisi l’option « achat d’or », après en avoir vendu 57 tonnes en 2023. Le pays a acquis 17 tonnes de métal précieux au cours des premiers mois de l’année 2024, reconstituant ainsi ses stocks. Et, comme pour d’autres nations anciennement membres du bloc de l’Est, il s’agit d’un moyen de retrouver ou d’assurer une certaine stabilité, alors que le pays a traversé une crise… En 2023, les banques centrales voisines de la Hongrie, de la République Tchèque et de la Slovénie étaient aussi passées à l’achat d’or.
L’Allemagne continue à vendre (mais peu)
La banque centrale allemande a continué à vendre de l’or sur ce début d’année 2024. Mais on est loin des 2 tonnes vendues en 2023 : 340 kg de métal précieux ont quitté les coffres allemands. C’est presque anecdotique au regard du stock germanique : le deuxième mondial, avec 3 352,31 tonnes au premier semestre 2024.
Ce qu’il faut retenir
- Les banques centrales disposent aussi d’or dans leurs réserves monétaire : le métal précieux assure une certaine stabilité économique au pays.
- L’or permet à une banque centrale d’être moins dépendante du dollar, ou de pouvoir disposer de fonds en période de crise.
- Chaque pays mène sa propre politique en matière d’achat ou de vente d’or. Le stock des États-Unis évolue peu par exemple, tandis que la Chine accroît ses réserves régulièrement.
- Les évolutions des dernières années illustrent bien les choix des banques centrales. La Turquie, notamment, achète ou vend en fonction de son besoin de liquidités.
Brand & Content Manager chez Veracash.
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et la france a t’elle encore vraiment des réserves ? combien de tonnes ont été gagées depuis le fiasco de sarkozy ?
Bonjour,
La Banque de France est très transparente par rapport aux entrées et sorties d’or et ses réserves, détenues notamment à La Souterraine. En revanche, il me semble qu’elle ne communique pas sur la façon dont cet or est utilisé ou pas.
Si vous n’avez pas vu la vidéo à ce sujet sur notre chaîne : https://youtu.be/lNJQtxB_owM?si=mSGSy6nLEJ27Wtva
Bonne journée