Souvent présentée comme un État à la croissance insolente, déjà désigné par certains comme le futur leader économique mondial capable de détrôner le géant américain, la Chine jouit-elle réellement d’une santé économique aussi bonne qu’on veut bien le croire ?
2023 aura été une année charnière pour la Chine, qui a atteint une croissance de 5,2 % selon les sources officielles, mais avec des nuances que ces chiffres ne révèlent pas entièrement. Le secteur immobilier notamment, pilier de la richesse chinoise, montre des signes inquiétants de faiblesse, et la consommation intérieure, cœur battant de l’économie, peine à retrouver son dynamisme d’antan. Le South China Morning Post rapporte que des millions de ménages chinois, définis comme moyennement aisés, voient leur épargne immobilisée dans des actifs désormais dévalués.
Et pourtant, c’est cette même classe moyenne, estimée à plus de 400 millions de personnes, qui fait l’objet de tous les espoirs de la République Populaire de Chine : ce sont ces gens, ces familles, qui pilotent la consommation et soutiennent l’innovation. En 2022, le président Xi Jinping avait promis d’augmenter considérablement la taille de cette classe moyenne d’ici 2035. Mais la situation économique du pays semble vouloir contredire les ambitions du Parti.
Retour sur une ascension économique prodigieuse
La progression économique de la Chine est exceptionnelle à bien des égards, à commencer par sa rapidité. En effet, le pays est passé d’une situation quasiment moyenâgeuse au statut de deuxième puissance économique mondiale en moins de 50 ans !
La Chine aime les symboles, et l’un de ceux qu’elle préfère est le Dragon, animal fabuleux auquel elle se compare parfois. Et c’est vrai que l’éveil de la Chine a pu faire penser à celui d’un géant endormi depuis des siècles qui, tout-à-coup, a commencé à se lever et à ébranler le monde sur son passage.
Dans les années 1970, la Chine est encore un pays en grande partie agraire, mais Deng Xiaoping — qui n’est alors officiellement que le “simple” numéro 3 du pays — décide de mettre en place un certain nombre de réformes ambitieuses en vue de transformer l’Empire du Milieu en une véritable puissance industrielle mondiale. Et cela va fonctionner. Ces réformes, axées sur l’ouverture du marché, l’attraction des investissements étrangers et la décentralisation de la gestion économique, ont littéralement catapulté la Chine au-devant de la scène mondiale. Le PIB chinois, qui était de seulement 150 milliards de dollars en 1978, a grimpé en flèche pour atteindre environ 18 000 milliards de dollars en 2022, faisant de la Chine la deuxième plus grande économie du monde, juste après les Etats-Unis et ses 25 000 milliards de dollars .
Le secret de cette croissance fulgurante réside dans plusieurs facteurs clés. En premier lieu, l’investissement massif dans les infrastructures a créé un environnement favorable à l’industrialisation rapide et à l’urbanisation. Des villes entières ont émergé, équipées de tout le nécessaire pour supporter l’essor industriel. Mais c’est surtout en misant sur ses exportations que la Chine a trouvé sa place. En intégrant l’Organisation Mondiale du Commerce en 2001, la Chine a non seulement augmenté ses exportations mais a également intégré le réseau de commerce global, ce qui a permis d’attirer encore plus d’investissements étrangers.
Car l’adhésion à l’OMC a marqué un vrai tournant, ouvrant les portes du marché chinois aux entreprises étrangères et vice versa. Cette étape a accéléré la mondialisation et renforcé la position de la Chine comme un acteur incontournable dans le commerce international. Les entreprises multinationales ont vu en la Chine non seulement un gigantesque marché de consommateurs mais aussi un hub de production efficace grâce à sa main-d’œuvre abordable.
Fragilités internes et risques pour la stabilité globale
Néanmoins, derrière cette façade de réussite incroyable, se cachent un certain nombre de failles et de déséquilibres dont on commence aujourd’hui à percevoir les effets, non seulement sur l’économie chinoise elle-même, mais aussi potentiellement sur le reste de l’économie mondiale.
Les exportations : une arme à double tranchant
Prenons par exemple les exportations. C’est vrai que la force de la Chine — on l’a vu plus haut — c’est d’avoir su miser sur son statut “d’atelier du monde” pour devenir commercialement incontournable. Mais dans le même temps, cette “sur-dépendance” de l’économie chinoise aux exportations est devenue une faiblesse. La Chine est en effet devenue particulièrement vulnérable aux fluctuations des marchés mondiaux et aux tensions commerciales, notamment avec des pays comme les États-Unis.
De plus, l’investissement public massif, bien qu’ayant stimulé la croissance à court terme, a également conduit à une augmentation préoccupante de la dette. En 2020, la dette totale de la Chine a atteint environ 270% du PIB, une montagne de dettes qui soulève des inquiétudes quant à la soutenabilité financière future du pays.
La crise immobilière et son impact sur la classe moyenne chinoise
Mais le secteur qui inquiète le plus en Chine est celui de l’immobilier. Révélée à l’occasion de la pandémie de Covid-19, la crise immobilière chinoise illustre parfaitement les risques d’une croissance trop rapide et déséquilibrée. Le marché immobilier, qui a longtemps été un moteur de l’économie du pays, est maintenant en difficulté, avec une baisse des prix et un ralentissement des ventes. Cette situation impacte directement la classe moyenne chinoise, qui a investi massivement dans l’immobilier comme principale forme d’épargne et de sécurité financière. En 2023, des rapports indiquaient une baisse significative de la valeur des biens immobiliers, mettant en péril la richesse de millions de ménages chinois. Cette dévalorisation contribue à un risque accru de déflation, une baisse généralisée des prix qui peut entraver la croissance économique et augmenter le poids réel de la dette.
D’ailleurs, à contre-courant de tout ce qu’il se passe dans la plupart des autres pays du monde, la Chine connaît actuellement une désinflation brutale telle qu’elle n’en a plus connu depuis 2010.
Le contrecoup d’une politique démographique restrictive
À côté de ces problèmes économiques, il y a également une composante humaine que la Chine doit désormais prendre en compte pour évaluer la viabilité de ses décisions politiques à moyen et long terme. En effet, avec sa politique de l’enfant unique qui a duré des décennies, la Chine fait désormais face à un vieillissement rapide de sa population et à un ralentissement de la croissance de sa population active.
Il s’agit d’une source majeure de préoccupation pour la stabilité à long terme du pays, car cette dégradation de la démographie menace directement la croissance économique future et promet d’augmenter la pression sur les systèmes de santé et de retraite déjà sous-financés. La viabilité à long terme des politiques économiques et sociales chinoises est donc remise en question, alors que le pays doit adapter ses stratégies pour maintenir sa trajectoire de développement tout en gérant les coûts sociaux et économiques de ces changements démographiques.
Implications géopolitiques de la puissance économique chinoise
Il faut bien garder à l’esprit que toute la politique chinoise de ces 50 dernières années est guidée par une seule et même stratégie de conquête à la fois économique ET idéologique. C’est en quelque sorte une forme de guerre qui ne dit pas son nom, une volonté de domination planétaire qui cherche à exploiter les failles de l’adversaire mais aussi à copier ses points forts.
En clair, l’ambition géopolitique de la Chine sur le plan international est principalement de renforcer son influence et son statut de superpuissance mondiale. Cela inclut l’expansion de son influence économique et politique à travers des initiatives majeures comme la Belt and Road Initiative (BRI), l’accroissement de sa puissance militaire, et l’amélioration de ses capacités technologiques et industrielles pour rivaliser avec d’autres grandes puissances, notamment les États-Unis.
Mais cette volonté hégémonique pourrait très bien aussi se retourner contre la Chine et pousser les autres pays à l’empêcher de se développer librement.
Expansion via les Nouvelles Routes de la Soie
L’initiative des « Nouvelles Routes de la Soie », également connue sous le nom de « Belt and Road Initiative » (BRI), est une stratégie d’expansion économique globale lancée par la Chine en 2013. Visant à améliorer les connexions régionales et à augmenter l’influence géopolitique de la Chine à travers l’Asie, l’Europe et l’Afrique, cette initiative couvre plus de 60 pays. Elle implique des investissements massifs dans les infrastructures, tels que les chemins de fer, les autoroutes, les ports maritimes, et les aéroports, avec un engagement financier qui s’élève à des centaines de milliards de dollars.
Cependant, la BRI n’est pas sans controverse. Plusieurs pays partenaires se sont inquiétés de ce qu’ils perçoivent comme une « diplomatie de la dette », où la Chine finance des projets d’infrastructure coûteux qui pourraient entraîner une dépendance économique à long terme. Par exemple, le port de Hambantota au Sri Lanka a été cédé à la Chine pour 99 ans après que le Sri Lanka n’ait pas réussi à rembourser les prêts chinois utilisés pour sa construction.
Tensions commerciales et technologiques
Depuis quelques années, les relations entre la Chine et les États-Unis ont été marquées par des tensions commerciales et technologiques croissantes, qui ont atteint un point culminant sous l’administration Trump qui a imposé des tarifs douaniers significatifs sur une large gamme de produits chinois dès 2018. En tapant ainsi directement la Chine au portefeuille, les américains ont déclenché une véritable guerre commerciale qui, malgré certains allègements sous l’administration Biden, constitue encore aujourd’hui un point majeur de dissension entre la Chine et l’Occident.
Surtout que les États-Unis n’en sont pas restés là et ont également mis en place des restrictions sur les entreprises technologiques chinoises, telles que Huawei, en les plaçant sur une liste noire économique en raison de préoccupations liées à la sécurité nationale. Ces mesures ont non seulement affecté Huawei mais aussi d’autres secteurs technologiques en Chine, exacerbant les tensions entre les deux superpuissances. Et d’une manière plus générale, ces restrictions privent la Chine d’un certain nombre de leviers essentiels au développement de sa stratégie économique globale.
Potentiel de conflits et répercussions mondiales
Enfin, on a eu tendance ces dernières années à oublier que la Chine était aussi une puissance militaire non négligeable. Les récents évènements entre la Russie et l’Ukraine sont venus nous rappeler que l’Empire du Milieu restait le principal allié de Moscou, non seulement sur le plan politique, mais aussi économique. Et certains se sont alors émus du potentiel militaire qu’un tel rapprochement pourrait également impliquer.
L’ascension économique et militaire de la Chine a donc soulevé des préoccupations quant à son impact sur la stabilité régionale et mondiale. Et outre son amitié régulièrement renouvelée à l’égard de la Russie, les revendications territoriales de la Chine en mer de Chine méridionale et ses actions dans la région du Taïwan sont perçues comme des points chauds qui pourraient potentiellement déclencher des conflits régionaux.
Tout cela crée un climat assez délétère au sein duquel la puissance économique chinoise, combinée à ses initiatives politiques et militaires, pousse d’autres nations à réévaluer leurs alliances et stratégies de sécurité. Les marchés financiers restent aux aguets, les métaux précieux comme l’or connaissent une explosion inédite de leur cours, et on assiste à une diversification des chaînes d’approvisionnement commercial, qui amène beaucoup de pays occidentaux à remettre en question leur dépendance vis-à-vis de la production chinoise. Ce qui là encore ne joue pas en faveur de l’expansion économique de la Chine.
Quel(s) avenir(s) pour la Chine à horizon 2030 ?
Par bien des aspects, la Chine se trouve aujourd’hui à la croisée de nombreux chemins et on peut imaginer quelques scénarios pour les années à venir, qui dépendront beaucoup de la capacité du pays (et de ses dirigeants) à s’adapter à un monde qui évolue plutôt qu’à chercher à lui imposer un modèle de force.
Continuité et Adaptation
Par exemple, on peut imaginer que la Chine réussisse à surmonter ses défis internes grâce à des réformes économiques et sociales profondes, stabilisant son économie tout en continuant à étendre son influence internationale. Elle parviendrait ainsi à rééquilibrer son économie vers une croissance plus durable, axée sur la consommation intérieure et l’innovation technologique.
La Belt and Road Initiative, quant à elle, passerait d’une alternative “passive-agressive” au commerce international traditionnel à une véritable réponse au besoin de développement de certaines régions du monde, renforçant des partenariats mutuellement bénéfiques et par là même atténuant les critiques internationales.
La Chine préserverait la face en maintenant une position ferme mais en évitant les conflits directs, préférant une approche diplomatique plus nuancée pour gérer ses ambitions géopolitiques. Elle y gagnerait alors un rôle de super-arbitre qui ne pourrait qu’être favorable à ses affaires.
Confrontation et Isolement
Au contraire, face à l’intensification des tensions géopolitiques, notamment avec les États-Unis et dans la région indo-pacifique, ainsi que l’augmentation des critiques internationales concernant ses politiques environnementales et ses pratiques commerciales, la Chine pourrait préférer durcir encore davantage son action et finalement se retrouver isolée sur certains fronts.
Dans ce scénario, des sanctions économiques, des barrières commerciales plus strictes, et un déclin de la coopération internationale pourraient ralentir sa croissance économique et exacerber les problèmes internes. Cette isolation pourrait pousser la Chine à renforcer son autoritarisme en interne et à adopter une posture plus agressive sur la scène internationale, augmentant le risque de conflits régionaux.
On comprend aisément qu’une telle position ne pourrait aboutir qu’à un affaiblissement économique de la Chine sur le plan international, c’est-à-dire exactement le contraire de ce qu’elle ambitionne de faire depuis des décennies.
Transformation et Leadership Global
Enfin, consciente des limites de son modèle de croissance et des risques de son isolement, la Chine pourrait entreprendre une transformation majeure de sa politique intérieure et extérieure. Elle pourrait ainsi prendre des mesures drastiques pour améliorer ses standards environnementaux et sociaux, s’alignant davantage sur les normes internationales.
La Chine pourrait également jouer un rôle de leader dans la lutte contre le changement climatique et dans la gouvernance mondiale, proposant de nouvelles initiatives globales qui facilitent une coopération internationale accrue. Cela pourrait lui permettre de gagner en crédibilité et en influence, favorisant un rôle plus pacifique et constructif sur la scène mondiale.
C’est vrai que ce scénario reste quand même le moins crédible car il impliquerait une transformation très profonde du modèle chinois. Mais on a vu le pays prendre des virages inattendus lorsque son intérêt était en jeu, et notamment s’ouvrir très largement au libéralisme de marché alors même que sa ligne politique reste fondamentalement communiste.
Donc, tout reste possible.
Ce qu’il faut retenir :
- Malgré une croissance supérieure à 5% en 2023, la situation économique de la Chine reste préoccupante à bien des égards.
- Devenue la deuxième puissance économique du monde en très peu de temps, le pays a accumulé certaines fragilités structurelles. une sur-dépendance du pays aux fluctuations du commerce international, une dette avoisinant 270% du PIB, un marché immobilier en crise profonde qui appauvrit les 400 millions de Chinois de la classe moyenne, un déclin démographique lié à la politique de l’enfant unique, ce qui pénalise le développement économique à venir du pays.
- L’ambition géopolitique de la Chine sur le plan international risque également de nuire à son positionnement économique auprès des autres pays du monde.
- Les soupçons d’espionnage technologique ont amené certains pays à restreindre l’utilisation de produits chinois, privant la Chine d’importants leviers pour son développement commercial.
- La Chine se trouve aujourd’hui à la croisée de nombreux chemins, et si certains scénarios offrent au pays la possibilité de devenir un leader mondial, y compris en matière diplomatique et environnementale, d’autres en revanche risque de le conduire à la confrontation et à l’isolement, tous deux néfastes à son développement économique.
Auteur et consultant depuis plus de vingt ans dans le domaine de la communication stratégique, il a plusieurs fois travaillé pour le compte d'entreprises financières dont il décrypte aujourd'hui les coulisses et les mécanismes économiques de base à l'intention du plus grand nombre.