Le 9 septembre 2024, Mario Draghi, ancien président de la Banque centrale européenne, a présenté un rapport détaillé sur l’avenir de la compétitivité européenne. Ce document particulièrement attendu dresse un tableau sans concession des faiblesses actuelles de l’économie de la zone euro, avant de proposer une série de recommandations pour éviter la stagnation et pour renforcer la compétitivité du continent.

Pour les plus curieux (et les plus courageux), le rapport est disponible en anglais et en deux parties sur le site de la Commission européenne : A competitiveness strategy for Europe d’une part (appelée aussi Partie A), et In-depth analysis and recommendations d’autre part (Partie B).

Mais concrètement, quelle est la portée de ce rapport ? Que peut-on en retenir comme perspectives économiques pour l’Europe, mais aussi pour la France et les Français ? Et surtout, quelles sont les implications pour l’épargne, l’emploi ou encore la consommation ?

Un constat inquiétant pour l’Europe et la France

Un retard technologique préoccupant

L’un des constats les plus alarmants du rapport concerne le retard technologique de l’Europe face à des puissances comme les États-Unis ou la Chine. Malgré un taux d’innovation relativement élevé, l’Europe peine à transformer ses découvertes en produits commercialisables et compétitifs. Entre 2013 et 2023, l’Europe a vu sa part de marché dans les technologies avancées diminuer considérablement, notamment dans des secteurs comme l’intelligence artificielle, le numérique et la robotique. Selon le rapport (page 12, partie A), cela s’explique par un manque de coordination entre les différents pays membres autour d’investissements ciblés et une bureaucratie qui freine les initiatives entrepreneuriales.

C’est d’ailleurs particulièrement le cas pour la France où, en dépit de programmes comme La French Tech, les entreprises françaises peinent à atteindre une échelle mondiale. Ce qui se traduit par un manque de compétitivité dans les secteurs technologiques où la recherche française est pourtant bien souvent à la pointe, et une création d’emplois plus lente que prévu dans ces domaines.

Des marchés financiers fragmentés

Le rapport souligne également la fragmentation des marchés financiers européens, avec notamment un cloisonnement très net des différentes places boursières et des conditions d’investissement variables d’un pays à l’autre, ce qui empêche les entreprises innovantes de bénéficier de financements compétitifs à l’échelle européenne (page 16, partie A). Aujourd’hui, en l’absence de vrais programmes d’investissements publics dans l’innovation en Zone euro, le financement des entreprises dépend trop largement des banques, qui sont souvent réticentes à financer des projets innovants à long terme, notamment en période d’incertitude économique.

Résultat : ces entreprises doivent souvent se tourner vers des capitaux extra-communautaires, notamment américains, pour financer leur croissance. C’est particulièrement vrai pour la France qui est une nation d’entrepreneurs. Et outre la fuite des talents qui en découle, l’innovation des Français (comme des Européens de manière plus large) nourrit donc la compétitivité étrangère.

Coûts énergétiques élevés : un handicap pour l’industrie

L’une des faiblesses les plus immédiates, et sans doute la plus palpable pour les entreprises, est celle des coûts énergétiques. Le rapport Draghi est sans appel : les coûts de l’énergie en Europe sont parmi les plus élevés au monde, parfois quatre fois supérieurs à ceux des États-Unis (+354% pour le gaz).

graphique du prix de l'énergie en Europe, aux Etats Unis et en Chine
Source: Rapport Draghi / European Commission, 2024. Based on Eurostat (EU), EIA (US) and CEIC (China), 2024.

Évidemment, une telle différence affecte directement la compétitivité de l’industrie européenne, notamment dans les secteurs énergivores comme la sidérurgie, la chimie, et le ciment. En France, même si l’industrie n’est plus ce qu’elle était (loin s’en faut !), cette situation pèse lourdement sur les coûts de production, au point d’amener les rares entreprises qui produisent encore sur le territoire à envisager, sinon une fermeture, du moins une délocalisation de leur production vers des pays où l’énergie est plus abordable.

Quelles conséquences si l’Europe ne change pas de cap ?

Mario Draghi ne se contente pas de dresser un constat : il met également en garde contre les conséquences d’une inaction prolongée. Sans changement de politique, et face au vieillissement de la population, l’Europe risque ainsi une stagnation économique durable qui pourrait remettre en question ses projets de transition énergétique.

Le poids d’une démographie très défavorable

D’ici 2040, l’Union européenne verra sa population active diminuer de près de 2 millions de travailleurs chaque année, et le rapport entre actifs et retraités passer de 3:1 à 2:1. Autant dire que la croissance économique en Europe risque, au mieux, de stagner, voire de s’arrêter.

Si l’UE maintient son taux de croissance de la productivité du travail au niveau actuel, soit 0,7 % par an (comme c’est le cas depuis 2015), cela suffirait à peine à stabiliser le PIB jusqu’en 2050. Avec des dettes publiques déjà élevées, des taux d’intérêt réels susceptibles de rester supérieurs à ceux de la dernière décennie, et des besoins de financement croissants pour la décarbonisation, la numérisation et la défense, cette stagnation du PIB pourrait rendre la dette publique insoutenable.

L’Europe pourrait alors être contrainte de renoncer à l’un ou plusieurs de ces objectifs.

Une transition énergétique inatteignable ?

Au nombre des ces objectifs potentiellement hors de portée, la transition énergétique est particulièrement menacée.

Page 39 du rapport, Mario Draghi met ainsi en lumière les choix difficiles auxquels l’Europe va être confrontée pour réussir sa trajectoire de décarbonisation sans compromettre sa compétitivité industrielle. En particulier, il souligne que l’imitation de l’approche américaine consistant à exclure la technologie chinoise pourrait retarder la transition énergétique et imposer des coûts économiques plus élevés à l’Union européenne. La BCE, quant à elle, estime que si la Chine continue de subventionner massivement son industrie des véhicules électriques, la production de véhicules électriques en Europe pourrait diminuer de 70 %, menaçant ainsi 14 millions d’emplois dans l’industrie automobile et les technologies propres.

Menaces sur l’emploi

Et puisqu’on parle d’emploi, le rapport souligne l’absence d’une stratégie claire pour l’Europe, non seulement en matière d’énergie verte, mais pour l’industrie et l’innovation au sens large. Ainsi, on a vu que les entreprises innovantes pourraient s’exporter hors du continent, que ce soit pour trouver des capitaux ou bénéficier de conditions plus favorables, ce qui aurait forcément de graves conséquences sur l’emploi.

Mais l’inaction des institutions européennes comme des États membres en matière de compétitivité pourrait également amener les industries traditionnelles à s’effondrer peu à peu, sans qu’on puisse compenser les pertes d’emplois consécutives par de nouveaux postes dans les secteurs innovants.

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Les recommandations économiques de Mario Draghi

Une fois établi ce constat inquiétant, le rapport Draghi propose ensuite des solutions pour redresser la situation et renforcer la compétitivité européenne. Et pas question d’être dans la demi-mesure, puisque les 170 préconisations de l’ancien Gouverneur de la BCE représentent pas moins de 800 milliards d’euros d’investissements supplémentaires par an si l’Europe veut espérer sortir de la spirale infernale qui l’entraîne vers un déclin de plus en plus rapide face aux Etats-Unis ou à la Chine.

Investir massivement dans l’innovation et les technologies avancées

Sans grande surprise, le rapport recommande un investissement massif dans l’innovation, en particulier dans les secteurs de l’intelligence artificielle, du numérique, et des technologies vertes (pages 152 à 157, partie B). L’objectif est de rattraper le retard avec les États-Unis et la Chine en renforçant la capacité des entreprises européennes à innover.

Réduire les coûts énergétiques et accélérer la transition verte

Draghi appelle à une réforme du marché de l’énergie pour réduire les coûts tout en accélérant la transition vers les énergies renouvelables (pages 25 à 41, partie B). Mais le rapport évoque aussi le nucléaire (page 20, partie B), qui reste une énergie propre et décarbonée, quoi qu’en disent certains écologistes nourris à la propagande antiscientifique de quelques groupes politiques extrémistes.

Leader sur ce marché, la France est donc indirectement invitée à accélérer la mise en œuvre de nouvelles centrales (page 37, partie B), également plus performantes et plus respectueuses de l’environnement, offrant à long terme une réduction des coûts pour les entreprises industrielles, mais aussi pour les ménages. Une baisse des factures d’énergie permettrait en effet de redonner du pouvoir d’achat aux Français, tout en renforçant la compétitivité des industries, et même de créer de l’emploi.

Harmoniser les marchés financiers et créer un actif sûr européen

Le rapport Draghi insiste sur l’importance de réformer les marchés financiers européens pour en finir avec la fragmentation actuelle. L’une des recommandations majeures est la création d’un actif sûr européen (pages 292 et suivantes, partie B), similaire aux obligations américaines, qui permettrait de sécuriser les investissements et d’attirer davantage de capitaux vers l’Europe.

Créer un cadre favorable à l’investissement privé

Draghi met également en avant la nécessité de créer un cadre réglementaire harmonisé, qui favoriserait les investissements privés dans des secteurs stratégiques comme l’intelligence artificielle, les énergies renouvelables, ou la cybersécurité (pages 219, 221, 252,…, partie B). Cela passerait par un allègement des contraintes réglementaires qui freinent actuellement les investisseurs européens et étrangers (pages 247, 317,…, partie B).

Mobiliser l’épargne pour financer la transition

Enfin, le rapport propose de réorienter l’épargne européenne, actuellement sous-exploitée, vers des investissements productifs dans les domaines de la transition énergétique et numérique (pages 281 à 293, partie B). Aujourd’hui, l’Europe possède un fort taux d’épargne, mais cet argent est souvent immobilisé dans des produits à faible rendement ou insuffisamment orienté vers des projets innovants.

Quel intérêt pour les particuliers ?

  • Impact favorable d’une baisse des coûts énergétiques
    Outre l’allègement direct des factures pour les ménages, la baisse des coûts de production pour les entreprises permettra à ces dernières de maintenir, voire de créer des emplois.
  • Fonds d’investissements verts
    La réorientation de l’épargne vers des investissements durables permettra aux particuliers de participer activement au financement de la transition écologique.
  • Fonds d’investissements « innovation »
    De nouveaux fonds d’investissement spécialisés dans les secteurs de l’intelligence artificielle ou du numérique pourraient aider au développement de nouvelles entreprises créatrices d’emploi, mais aussi offrir aux épargnants des opportunités de placement à fort potentiel de croissance.
  • Emprunt obligataire européen
    La création d’un actif sûr européen offrirait aux épargnants une nouvelle option d’investissement stable (par l’intermédiaire d’assurances-vie ou d’autres produits du même genre), limitant les risques liés à la volatilité des marchés internationaux. Cet actif pourrait devenir une alternative intéressante aux obligations d’État traditionnelles pour les investisseurs à la recherche de placements sûrs.