La crise bancaire qui inquiète actuellement les marchés financiers fait également craindre le pire pour le secteur des assurances-vie. Et pas seulement parce que de nombreux assureurs sont aussi des banquiers, mais plutôt parce qu’on suppose que ce qui a causé de graves difficultés à des banques américaines ou européennes, à commencer par la remontée des taux d’intérêts des Banques centrales, pourrait également lourdement pénaliser les professionnels de l’assurance-vie.
Mais ces craintes sont-elles seulement justifiées ? Ou autrement dit, une crise bancaire qui est avant tout américaine – même si des répercussions se font désormais sentir en Europe du fait de la mondialisation des marchés financiers – peut-elle avoir un impact sur les compagnies d’assurance-vie françaises.
L’assurance-vie affectée par la crise bancaire ?
Alors, en théorie, oui. Et notamment parce que cette crise bancaire intervient dans un contexte bien particulier de remontée brutale des taux d’intérêts pour faire face à une forte inflation.
Premier souci, le risque de contrepartie qui dépend directement de l’exposition plus ou moins importante des assureurs-vie aux marchés financiers américains. Dit plus simplement, tout va dépendre ce que les assureurs français auront ou non investi auprès des banques qui sont aujourd’hui en difficulté.
En effet, pour gagner de l’argent rapidement et payer les primes de leurs clients tout en se faisant une marge raisonnable, les compagnies d’assurance-vie n’hésitent pas à engager une partie de leurs capitaux sur des placements plus ou moins risqués. Elles détiennent ainsi bien souvent des titres de dette à long terme émis par des banques américaines, en dépit des récents allègements consentis outre-Atlantiques aux banques de moyenne taille en matière de règles prudentielles notamment. En gros, elles ont un peu plus qu’avant le droit de faire éventuellement des bêtises avec l’argent qui leur est confié. En cas de faillite de ces banques, les compagnies d’assurance-vie peuvent donc subir des pertes importantes sur ces investissements, ce qui est susceptible de compromettre leur solvabilité à court ou moyen terme.
Mais le vrai problème que pose cette situation aujourd’hui, c’est celui de la confiance.
Un risque de perte de confiance dans les placements financiers ?
Par exemple, si la crise perdure, voire s’étend et commence à affecter l’ensemble des marchés financiers, y compris en Europe (ce qui semble être déjà le cas avec les difficultés rencontrées par le Crédit Suisse ou la Deutsche Bank par exemple), les épargnants pourraient bien devenir préoccupés par la stabilité de leurs propres banques. Surtout après l’annonce d’une récente perquisition menée dans cinq banques françaises soupçonnées de fraude fiscale par Bercy.
Difficile alors de ne pas douter de la fiabilité de ses placements financiers. Dans ce cas, on sait que la tendance est généralement à la réaffectation des capitaux vers les valeurs-refuges comme l’or et l’immobilier par exemple, mais aussi et surtout vers les livrets réglementés entièrement liquides, voire les comptes de dépôt, ce qui fait autant d’argent en moins pour les professionnels de l’assurance-vie qui vendent alors de moins en moins de nouveaux contrats et voient leurs revenus s’effondrer.
Quant aux épargnants qui ont déjà des contrats d’assurance-vie, rien ne dit qu’ils attendront sagement que l’inflation d’un côté ou une crise financière de l’autre viennent grignoter leurs économies. Et c’est surtout cela qui inquiète les assureurs : la décollecte massive face à une rentabilité trop faible liée à la fois à l’inflation et à la remontée des taux qui font perdre de la valeur aux actifs détenus par les compagnies d’assurance-vie.
Pourquoi les actifs détenus par les compagnies d’assurance-vie perdent-ils de la valeur ?
D’une manière générale, les compagnies d’assurance-vie françaises investissent une partie importante de leurs actifs dans des obligations d’État et des produits de dette, qui sont sensibles aux taux d’intérêt. Si les taux d’intérêt augmentent rapidement, cela peut entraîner une baisse de la valeur théorique des obligations déjà détenues par les compagnies d’assurance-vie, ce qui peut affecter leur solvabilité.
Attention, cette baisse de valeur pourrait sembler théorique – c’est avant tout une moins-value comptable – et ne pas être effective tant que ces compagnies ne vendent pas leurs obligations. Mais en réalité, la seule constatation comptable d’une perte supérieure au capital de l’assureur suffit à mettre celui-ci en faillite. Et ce n’est pas un problème de mauvaise gestion de la part de la compagnie, car la valeur des obligations peut tout simplement s’effondrer en raison d’une remontée brutale des taux d’intérêt décidée par la banque centrale.
C’est ce qui vient justement d’arriver à l’assureur italien Eurovita dont l’actionnaire principal, le fonds d’investissement britannique Cinven, a en effet refusé toute recapitalisation afin de compenser la perte de valeur des obligations en portefeuille. Conséquence directe, L’IVASS, l’autorité de régulation de l’assurance-vie en Italie, a placé Eurovita en redressement judiciaire, bloquant du même coup 15 milliards d’euros appartenant à 350 000 clients qui doivent attendre la fin de la procédure pour espérer récupérer leurs fonds.
Comment des obligations peuvent-elles perdre de la valeur ?
Faisons ici une petite pause pour bien expliquer ce mécanisme de perte de valeur qui, bien que simple, reste pourtant assez obscur à la plupart des épargnants.
La raison pour laquelle la valeur des obligations détenues par les assureurs peut baisser est tout simplement liée à la loi de l’offre et de la demande.
Imaginons qu’un assureur ait besoin de liquidités et que sa seule solution consiste à revendre une partie des obligations qu’il détient.
Si les taux d’intérêt sont remontés depuis le moment où ces obligations ont été achetées, alors les nouvelles dettes émises ont de meilleurs rendements que les anciennes.
Or, à moins d’obtenir un important rabais sur la valeur d’origine, personne ne voudra lui racheter des titres qui rapportent 1% par an, quand des obligations toutes neuves émises plus récemment proposent 3% ou plus encore. Ce rabais consenti par l’assureur devra au minimum couvrir la différence entre la rentabilité des nouveaux titres et celle offerte par les obligations qu’il tente de revendre. Un rabais qui viendra tout naturellement en déduction de la valeur-même du titre.
Exemple
- Prenons un assureur qui détient depuis 2021 une obligation de 100 € qui lui rapporte 0.25% par an (taux moyen de rendement des obligations des sociétés cette année-là), elle est censée valoir 100,25 € au bout d’un an.
- En parallèle, les nouvelles obligations offrent désormais un rendement avoisinant les 3% par an.
- Pour séduire d’éventuels acheteurs, l’assureur devra donc baisser le prix de son obligation à 97,33 € (soit une perte comptable de 2,66% par titre) afin que la valeur finale de 100,25€ corresponde bien à un rendement de 3% pour l’acheteur.
Les anciens contrats d’assurance-vie de moins en moins intéressants
En effet, si les taux d’intérêt augmentent brusquement, les compagnies d’assurance-vie peuvent avoir des difficultés à maintenir des taux de rendement attractifs pour leurs clients, puisqu’ils sont basés sur les anciens taux (bien plus bas !) auxquels les assureurs ont placé leur capital. On peut donc imaginer que ces clients finissent par demander le rachat de leurs « vieux » contrats d’assurance-vie à 1% de rendement par exemple, afin d’en souscrire de nouveaux plus rentables, ce qui se traduirait immanquablement par une sortie de capitaux massive que les compagnies d’assurances ne sont surement pas en mesure d’absorber sans y laisser des plumes au passage.
Aujourd’hui, comme le rappelait récemment le magazine Capital, l’assurance-vie représente un total de 1872 milliards d’euros, dont 1378 milliards sur les fonds euros, et pour l’instant les épargnants ne semblent pas disposés à toucher massivement à ce qui constitue encore aujourd’hui leur placement favori. Même si on note depuis le début de l’année 2023 une forte décollecte d’environ 2,4 milliards d’euros sur les fonds en euros, liée principalement à la remontée des taux du Livret A.
Les assureurs ne sont donc pas trop inquiets pour l’instant, d’autant plus qu’ils disposent de réserves de capitalisation de plusieurs dizaines de milliards d’euros destinées justement à compenser d’éventuelles moins-values obligataires. Pourvu que ça dure.
Et l’or dans tout ça ?
On l’a répété ici des dizaines de fois, l’or est avant tout un actif tangible et physique doté d’une valeur intrinsèque, contrairement à la monnaie fiduciaire (comme les billets de banque), et à plus forte raison la monnaie scripturale, dont la valeur est basée sur la confiance dans l’émetteur. Confiance qui est pour le moins mise à mal en ce moment..
Une fois qu’on a dit cela, on peut comprendre qu’en période de crise, les investisseurs cherchent à se protéger contre la volatilité des marchés financiers en se tournant vers des actifs totalement extérieurs au système bancaire et considérés comme plus sûrs, tels que l’or.
Sans oublier que l’or peut également servir de couverture contre l’inflation puisqu’il protège efficacement le pouvoir d’achat de l’épargne, y compris en cas de crise bancaire et de dévaluation de la monnaie fiduciaire.
Et c’est sans doute ce qui se passe actuellement avec un regain d’intérêt pour l’or dont le cours, directement lié à l’appétit des investisseurs, ne cesse de monter depuis quelques semaines, au point d’atteindre désormais des niveaux records en avoisinant les 2000 $ l’once.
Même les banques centrales ne s’y sont pas trompées, car selon le WGC, elles ont acheté pas moins de 31 tonnes de métal jaune pour le seul mois de janvier 2023, soit 16% de plus qu’en décembre 2022. Une preuve s’il en est que l’or est privilégié par les principaux acteurs économiques de la planète, y compris par ceux qui s’efforcent de maintenir à flot un système financier dont ils vantent la robustesse et la vigueur… mais en marge duquel ils préfèrent quand même prendre quelques précautions de bon sens !
With 20+ years of experience as an author and consultant in the field of strategic communication, he has worked for several financial companies. Now, he unravels their behind the scenes stories, while explaining the basic economic mechanisms to the general public.