Le 28 janvier dernier, L’INSEE annonçait une croissance française sensationnelle de 7% pour l’année 2021. Depuis cette date, tous les médias et les porte-paroles du gouvernement ont relayé la bonne nouvelle en boucle : la France est redevenue un pays puissant dont l’excellente santé économique prouve la non moins excellente politique des grands gestionnaires de l’État face aux crises les plus graves, à commencer par la dernière en date liée à la pandémie de Covid-19. Devant de tels résultats, il serait d’ailleurs bien malvenu de pondérer cet enthousiasme en s’interrogeant sur la réalité de cette surperformance (qui dépasse même la moyenne européenne, une fois n’est pas coutume), voire de soulever un coin de ce drapeau tricolore triomphant pour voir s’il ne cache pas des réalités en peu moins rassurantes. Non, décidément, ce ne serait pas convenable. Et pourtant, c’est ce que nous allons faire ici…
Comment peut-on définir la croissance économique ?
Petit rappel sur la croissance. Même si beaucoup d’économistes chevronnés et de spécialiste de l’économie politique aiment en faire un concept pas toujours accessible au grand public, la réalité nous autorise à considérer que la croissance mesure assez simplement l’augmentation de la richesse d’un pays sur une période donnée. Cette richesse étant particulièrement complexe à évaluer, car elle est bien évidemment financière, mais aussi culturelle, écologique, sociale, humaine, industrielle, attachée à son rayonnement international, diplomatique, etc., on n’en garde généralement que l’aspect directement productif qui est le plus facile à chiffrer objectivement. La richesse mesurée est donc identifiée par le PIB (pour Produit intérieur brut), dont l’évolution année après année reflète en théorie la croissance du pays.
Ainsi, un taux de croissance de 7% en 2021 signifie tout simplement que notre PIB a augmenté de 7% par rapport à l’année 2020. Est-ce une bonne nouvelle ? Oui. Est-ce spectaculaire ? Non.
Pourquoi la croissance de 2021 est en réalité un non-évènement ?
Entendons-nous bien, le résultat annoncé par l’INSEE est très bon, mais pas au point d’être comparé à un exploit, surtout si c’est dans le but d’en retirer des bénéfices politiques indus. Parce qu’il ne faudrait quand même pas oublier le contexte dans lequel cette « bonne » croissance intervient.
Il n’aura échappé à personne que les deux années qui viennent de s’écouler ont été pour le moins compliquées sur le plan sanitaire, pas seulement pour la France mais à l’échelle mondiale, et que les répercussions économiques d’une telle situation ont été exceptionnellement mauvaises. C’est vrai qu’une croissance de 7% en un an est un résultat spectaculaire dont la France avait oublié le souvenir depuis 52 ans. Mais ce rebond magistral intervient juste après un plongeon tout aussi impressionnant de 8% en 2020. Ce qui n’était pas arrivé depuis la Seconde Guerre mondiale. Au jeu des pourcentages historiques, la baisse de 2020 l’emporte largement sur la hausse de 2021.
Alors oui, on pourrait se dire qu’à 1% près, l’équilibre est quasiment rétabli. Au point que beaucoup n’hésitent pas aujourd’hui à affirmer qu’on est revenu au niveau d’avant-crise, comme si celle-ci n’avait laissé aucune trace. Tout d’abord, si c’était le cas, revenir au niveau de richesse produite il y a trois ans, ce n’est pas vraiment ce qu’on appelle une bonne performance. Tout juste peut-on estimer qu’on a su remonter à la surface après avoir brutalement coulé à pic. Mais surtout, il est difficile d’imaginer qu’on ait pu effacer les effets de la crise, ou mieux encore, comme l’écrivait le journal Les Échos le 28 janvier dernier, que «l’économie française dépasse désormais de 0,9 % son niveau d’avant la crise sanitaire», en ayant progressé de 7% après une baisse de 8%. Et même si l’économie française était remontée du même taux que celui de sa chute, on n’aurait pas pour autant retrouvé le même niveau. Il ne faut pas être grand clerc pour comprendre qu’1% de baisse coûtera toujours plus cher qu’1% de remontée.
Le retour d’une croissance forte est-il souhaitable en France ?
Ceci étant dit, participons à la liesse générale et considérons ces bons résultats comme le signe avant-coureur d’un retour durable de la croissance économique. Mais est-ce vraiment une aussi bonne nouvelle ?
Derrière cette question quasi blasphématoire, il y a un certain nombre de réalités inhérentes à la croissance qui incitent pourtant à modérer notre enthousiasme. Parmi les effets néfastes de la croissance, on évoque souvent les atteintes à l’environnement ou l’épuisement des ressources naturelles, en particulier l’eau potable mais aussi les métaux et même les combustibles fossiles dont l’utilisation génère en outre une forte pollution.
Plus de croissance signifie en effet plus de production, donc plus d’industrie avec tout ce que cela engendre comme perturbations dans les équilibres écologiques. Mais, même si on ne peut nier l’importance fondamentale des questions environnementales pour chacun d’entre nous, une croissance soutenue a aussi des conséquences négatives bien plus directes sur notre quotidien. En particulier sur le pouvoir d’achat des individus et l’accroissement des inégalités.
Une croissance fortement corrélée à une hausse des prix
Revenons tout d’abord à cette notion de PIB. On l’a dit, la richesse du pays a augmenté entre 2020 et 2021 et c’est cette augmentation de richesse qui caractérise la croissance. Mais cet enrichissement, cette augmentation du PIB peut aussi bien être due à une augmentation de la quantité produite… qu’à une augmentation des prix. Et justement, il se trouve que l’inflation aussi connaît un niveau record (2.9% sur un an), telle qu’on n’en avait plus vu depuis trente ans ! Une inflation qui a mécaniquement entraîné une hausse des prix assez violente, en particulier à cause de l’explosion des coûts énergétiques. Or, une telle inflation touche directement au pouvoir d’achat des consommateurs, d’autant plus si les revenus ne suivent pas, ce qui est le cas actuellement.
Certes, la consommation des ménages a elle aussi augmenté en 2021, mais c’est surtout parce qu’elle a été sévèrement bridée en 2020 à cause des contraintes sanitaires fortes mises en place pour endiguer la propagation de la Covid-19. Dès que les restrictions ont été assouplies et que la vaccination s’est généralisée, la consommation est repartie avec un élan quasi « libérateur », en dépit d’une augmentation des prix parfois significative (selon l’INSEE, l’indice des prix à la consommation a ainsi augmenté de 2,8 % sur un an au mois de décembre 2021, soit le même taux qu’en novembre).
La demande entraînant l’offre, et donc la production de biens et services, on peut donc se réjouir de cette composante de la croissante. Toutefois, il ne faut pas oublier qu’elle est non seulement exceptionnelle mais aussi fortement corrélée à une inflation tout aussi inhabituelle qui explique une grande partie de l’augmentation du produit intérieur brut. Ce qui n’est pas forcément une situation idéale.
Une croissance qui dynamise l’emploi… mais creuse les inégalités
Dès la publication des chiffres de l’INSEE, le ministre de l’Economie et des Finances et de la relance, Bruno Le Maire, s’est empressé d’exprimer sa satisfaction. «Ça prouve que la politique du gouvernement est efficace», a-t-il ainsi déclaré à la télévision. Et c’est vrai que le gouvernement n’a pas chômé pour éviter que la situation économique de la France ne pâtisse trop de la crise sanitaire. Aide au maintien de l’emploi, subvention publique de l’activité des entreprises, chômage partiel, allègements fiscaux… au total, ce sont plus de 60 milliards d’euros qui auront été dépensés par l’État au nom du « quoi-qu’il-en-coûte », mais surtout au prix d’un déficit public record de 171 milliards d’euros pour une dette nationale avoisinant les 115% du PIB.
Alors oui, les entreprises françaises ont tenu le coup. Elles ont même embauché ; le nombre d’inscrits en catégorie A à Pôle emploi a reculé de près d’un demi-million en 2021, du jamais vu depuis 1996. Certains diront que c’était attendu, tant il est vrai que la croissance économique est créatrice d’emploi, et donc d’élévation du niveau de vie, puisqu’elle nécessite davantage de main d’œuvre. Mais toute la population a-t-elle bénéficié équitablement de cet accroissement de richesse ? Rien n’est moins sûr.
Ainsi, un grand nombre de personnes ayant retrouvé du travail en 2021 ont surtout bénéficié d’emplois précaires, souvent mal rémunérés ou à temps partiel. L’INSEE a en outre montré que les mesures gouvernementales ont surtout été favorables aux employés, aux ouvriers et aux professions intermédiaires déjà en poste. De même, les aides accordées aux travailleurs indépendants, sous certaines conditions, ont permis de couvrir, au mieux, 90% de leurs pertes de revenus engendrées par la crise sanitaire. Au final, la politique gouvernementale a permis de limiter la casse sociale, mais n’a pas vraiment amélioré la situation des plus modestes, puisque 9,3 millions de Français sont toujours en-dessous du seuil de pauvreté, soit 14,6% de la population, une proportion qui reste stable depuis 2019.
Or pendant ce temps, boosté par les performances astronomiques des marchés financiers en 2021, le capital des Français les plus riches a continué à progresser à vitesse grand V. Selon l’ONG Oxfam, «les richesses des grandes fortunes françaises ont bondi de 86%, soit un gain de 236 milliards d’euros» durant la pandémie, contre un total de 231 milliards d’euros… sur les dix années précédentes, c’est-à-dire entre 2009 et 2019 !
Il est donc indéniable que certaines catégories de la population ont plus largement bénéficié que d’autres de la croissance exceptionnelle de 2021. Une inégalité qui renforce le sentiment d’injustice que ressentent les plus modestes (des travaux récents d’économistes montrent qu’on est revenu au niveau d’inégalités de la fin du XIXe siècle). Une situation explosive à la veille d’échéances électorales importantes, quand on sait combien la montée des extrêmes, du populisme, voire du fascisme, est intimement liée à l’augmentation des inégalités et au sentiment d’injustice sociale.
Une croissance qui mine l’épargne des Français.. sauf pour l’or
Reste l’épargne, qui constitue l’un des fondements de l’économie des Français, et qui se voit aujourd’hui mise à mal par cette croissance qu’on cherche à maintenir coûte que coûte pour faire figure de bon élève dans la salle classe européenne.
Ainsi, inutile d’espérer voir les taux d’intérêt remonter avant longtemps : des taux bas permettent non seulement aux États de financer leur politique à bas coût, mais ils facilitent aussi les emprunts des particuliers comme des entreprises. Ce qui entraîne un sursaut de la consommation et des investissements, autant de facteurs positifs qui alimentent l’économie et créent de la croissance, fût-ce au prix d’une inflation galopante.
Sauf que des taux d’intérêts durablement bas constituent une catastrophe pour l’épargne puisqu’ils ne permettent même plus de compenser cette inflation, justement. En clair, plus les épargnants gardent d’argent de côté et plus ils s’appauvrissent.
Une seule classe d’actif permet de résister à cette érosion : les métaux précieux et l’or en particulier. Certes, il n’offre aucun rendement à proprement parler, mais là où l’inflation fait perdre de la valeur aux monnaies traditionnelles, l’or voit son cours s’apprécier à mesure que la demande augmente (car sa pérennité en fait une valeur refuge pour les investisseurs depuis toujours). Avec des rendements négatifs comme ceux que l’on connaît depuis quelques années, et une croissance soudaine qu’on souhaite préserver et soutenir par tous les moyens, y compris en déversant des quantités phénoménales de devises sur les marchés, l’or renforce sa position de « vraie » monnaie.
Et même si les taux devaient remonter, la moindre allusion d’une telle éventualité provoque désormais des accès de panique sur les marchés financiers. Lesquels se contractent alors dans le jeu classique des vases communicants entre actions et obligations, poussant les investisseurs à sortir de leurs positions boursières les plus risquées pour mieux se réfugier, entre autres, dans l’achat d’or. Ce qui contribue là encore en a renchérir la valeur.
Finalement, la croissance pourrait bien être un signal supplémentaire incitant les épargnants à acheter de l’or pour mieux sécuriser leur patrimoine…
Auteur et consultant depuis plus de vingt ans dans le domaine de la communication stratégique, il a plusieurs fois travaillé pour le compte d'entreprises financières dont il décrypte aujourd'hui les coulisses et les mécanismes économiques de base à l'intention du plus grand nombre.