L’inflation est désormais bien installée en France, c’est un fait. À plus de 5% en glissement annuel, c’est également une évidence que le niveau actuel de cette inflation entraîne des augmentations de prix, mais aussi des hausses de taux d’intérêt, qui freinent en partie la consommation des ménages comme des entreprises. Le risque de stagflation est la première conséquence d’une inflation élevée couplée à une croissance économique ralentie. Mais d’aucuns redoutent déjà que la situation s’aggrave encore davantage et n’aboutisse à « celle dont on ne doit pas dire le nom » : la récession.
Quelle est la définition d’une récession et pourquoi fait-elle peur ?
Techniquement, la récession est caractérisée par une chute du produit intérieur brut (PIB) pendant au moins deux trimestres consécutifs. Attention, on ne parle pas ici de simple ralentissement économique, avec une croissance moins forte mais qui reste malgré tout positive. En période de récession, la croissance devient négative, c’est-à-dire que le PIB descend en dessous du niveau qu’il avait lors des périodes précédentes.
Concrètement, la récession découle d’une baisse durable de l’activité économique, et principalement de la consommation, ce qui va avoir des répercussions à la fois sur les revenus, le niveau de la production industrielle et sur l’emploi. Des répercussions négatives, cela va sans dire. L’inflation est souvent une cause majeure de la récession suivant un mécanisme assez simple à comprendre. Tout part de prix plus élevés qui freinent la consommation et donc réduisent la demande, obligeant dès lors les entreprises à réduire leurs capacités de production pour ne pas créer d’offre excédentaire. Cette baisse de la production s’accompagne généralement de licenciements plus ou moins massifs, entraînant une baisse des revenus d’une partie croissante de la population, laquelle peut donc encore moins soutenir la consommation. On entre alors dans un cercle vicieux qui voit la chute de croissance s’accélérer à mesure que les individus et les entreprises perdent en revenus.
En l’absence d’intervention extérieure, on comprend aisément qu’un tel enchaînement soit difficile à endiguer, et que la récession constitue une issue à laquelle personne ne veut être confronté. Au point parfois de ne pas vouloir lui donner ce nom lorsqu’elle se présente, un peu comme pour conjurer le sort. Pour autant, même si la récession a plusieurs fois sonné comme un signe annonciateur d’effondrement économique (comme dans les années 1920-1930 par exemple), nous sommes régulièrement passés par ce genre d’épreuve au cours des dernières décennies, presque sans nous en apercevoir grâce aux miracles de la rhétorique lénifiante et déresponsabilisatrice de nos autorités politiques et économiques. 1974, 1982-83, 1993, 2008, 2019-2020, les exemples récents sont nombreux et il n’est pas nécessaire d’exhumer des photos d’archives en noir et blanc pour se faire peur avec les conséquences d’une récession. Une simple rediffusion des journaux télévisés de mars 2020 devrait suffire, avec des rayons de supermarché vidés de leurs plus précieux articles (papier toilette, coquillettes et paquets de farine dont tout le monde avait oublié l’utilité jusqu’ici), mais aussi des terrasses de cafés désertes, des restaurateurs déprimés et les videurs du Macumba au chômage technique.
Plus sérieusement, le souvenir que l’on a des périodes de récession du début du XXe siècle a en effet de quoi faire frémir, mais les effets les plus catastrophiques sont surtout dus aux politiques générales de l’époque, ainsi qu’à l’environnement socio-économique du moment. Ce qui ne veut pas dire qu’une récession ne causerait pas de dommages aujourd’hui, mais plutôt qu’on est désormais beaucoup mieux armés pour y répondre.
Quelles seraient les conséquences d’une récession économique ?
Si notre économie devait entrer en récession cet été ou à l’automne prochain, les conséquences seraient finalement assez peu marquées. Ou en tout cas, cela ne devrait pas nous causer davantage de désagréments que ceux que nous connaissons depuis environ… 50 ans ! Une telle remarque pourrait facilement être jugée comme provocante, mais il suffit d’examiner les derniers épisodes de récession pour nous en convaincre.
Mais d’abord, quelles sont les conséquences attendues d’une récession ? La première d’entre elles, la plus forte peut-être, concerne les entreprises, dont un grand nombre risque d’être poussé à la faillite en raison de leur incapacité à survivre à une baisse de production. En effet, on l’a vu plus haut, une inflation comme celle que nous vivons actuellement entraîne mécaniquement une baisse de la demande, ce qui oblige les entreprises à réduire leurs capacités de production pour s’adapter, mais du même coup, à se priver de recettes nécessaires à leur survie. Les plus fragiles n’ont alors d’autre choix que de fermer, provoquant une hausse du chômage qui réduit encore davantage la consommation, et ainsi de suite jusqu’à deux issues possibles : le redressement ou la dépression.
Le redressement intervient lorsqu’au bout d’un certain temps, l’activité économique a pu se stabiliser, à un niveau bas, certes, mais suffisant pour rétablir la confiance. Encouragés par la fin de la dégradation, les agents économiques recommencent à croire en des lendemains qui chantent se remettent progressivement à consommer, et même à ré-investir en prévision d’un retour de la croissance. La dépression, en revanche, est une autre possibilité, bien plus dramatique celle-là, puisqu’elle signe l’aggravation et la pérennisation de la récession (on ne parle plus de quelques mois mais de plusieurs années de profonde récession), au point parfois d’entraîner la faillite de toute l’économie, un chômage de masse et un effondrement de la monnaie comme ce fut le cas en Allemagne avec la chute de la république de Weimar dans le courant des années 1920. Cet épisode fut d’ailleurs directement à l’origine de l’arrivée d’ Hitler au pouvoir, qui fut vécue comme un espoir de renaissance dans le pays, ce qui montre bien la gravité potentielle d’une dépression.
On peut aussi citer la Grande Dépression Américaine née du krach boursier de 1929 et dont les États-Unis ont mis une décennie à se relever puisque, malgré une politique interventionniste de l’État comme on n’en avait jamais vu jusqu’alors (et comme on n’en verra plus jamais, d’ailleurs), et un semblant de redressement lors de la réélection de Franklin D. Roosevelt en 1936, l’économie a replongé à partir de 1937 jusqu’à ce que l’entrée en guerre des États-Unis en 1941 permette au pays de relancer sa machine de production à plein régime.
Aujourd’hui, une récession se traduirait certes par une mise en danger des entreprises, mais, on l’a vu lors de la dernière période du genre, en 2020, les États sont désormais prêts à tout pour éviter l’emballement de la mécanique de crise. Et pour cela, rien de mieux que l’injection massive de liquidités dans l’économie par l’intermédiaire des banques centrales, grâce à une arme dont on ne disposait pas au début du XXe siècle : la monnaie-dette. En effet, jusque dans les années 1970, on ne pouvait créer davantage de monnaie que celle qui était indexée sur les réserves en or du pays, au risque sinon de dévaluer la monnaie et de faire s’effondrer les marchés financiers. Mais depuis qu’on a abandonné l’étalon-or, il n’y a quasiment plus de limite à la création monétaire, si ce n’est celle des projections théoriques montrant un retour de la croissance et les perspectives économiques optimistes expliquant comment on remboursera demain. Et de toute façon, au pire, si les prédictions ne se réalisent pas, on pourra toujours émettre de nouvelles dettes pour rembourser les précédentes.
Ainsi, en 2020, malgré un PIB en baisse sur la quasi totalité de l’année, atteignant même une chute cumulée record de 20% (du jamais vu depuis la création de l’INSEE en 1949), on n’a pas connu d’augmentation du nombre de faillites ni même de hausse du chômage. Grâce au fameux « quoi-qu’il-en-coûte » avec ses prêts garantis, ses aides financières exceptionnelles, la prise en charge du chômage partiel, l’exonération de cotisations, etc., c’est même plutôt le contraire qui s’est produit avec une préservation du tissu économique et un taux de chômage qui a même réussi à baisser jusqu’à un peu plus de 7%. Avant finalement de remonter à 8% en 2021… alors que le PIB connaissait lui aussi un rebond spectaculaire. Le même phénomène s’était d’ailleurs produit en 2008 ou encore en 1993. Et il semble en passe de se reproduire en 2022, avec un taux de chômage qui repart à la baisse tandis que le PIB connaît une nouvelle contraction depuis le début de l’année.
Risque-t-on une récession en France en 2022 ?
Et justement, puisqu’on parle de 2022, une récession semble totalement exclue pour cette année, en dépit d’une guerre en Ukraine qui est venue ajouter de l’instabilité à une économie mondiale déjà lourdement impactée par la pandémie de Covid-19, des prix de l’énergie qui explosent et une inflation à des niveaux inédits depuis près d’un demi-siècle. C’est en tout cas ce qu’affirmait dernièrement Bruno Le Maire, notre ministre de l’Économie, dans une interview pour le magazine Challenges.
Alors oui, l’inflation a forcé les Français à réduire la voilure en termes de dépenses, et la remontée des taux d’intérêt est également en train de donner un coup d’arrêt aux projets d’investissement. Mais la situation est encore loin d’être catastrophique si on en croit le grand Trésorier de l’État. D’abord parce que l’épargne n’a quasiment jamais été aussi élevée en France, et que c’est l’occasion ou jamais de faire ressortir tous ces milliards d’euros qui dormaient jusqu’alors. Ensuite, de nombreux experts s’accordent à dire que l’inflation ne sera plus qu’un mauvais souvenir d’ici la fin de l’année, et que 2023 devrait marquer un retour à la normale. Les mêmes experts qui avaient dit l’an dernier qu’à moyen ou long terme, il était peu probable que l’inflation dépasse de manière pérenne l’objectif de «2% et plus» de la Fed. Enfin, Bruno Le Maire et bien d’autres avec lui, sont persuadés que la croissance continuera à se maintenir à un niveau acceptable, soutenue en partie par l’État qui est prêt à dégainer son chéquier pour aider les Français à payer leur carburant, leur chauffage, leur alimentation (et peut-être bientôt leurs vacances, leurs cigarettes ou leur petit ballon de rouge au comptoir ?).
Les augmentations du SMIC ainsi que du taux du Livret A participent aussi de cette politique interventionniste, pour ne pas dire paternaliste, qui tient davantage de la méthode Coué que de la vraie stratégie économique à long terme. Mais on doit aussi reconnaître au gouvernement la lucidité de ne pas avoir incité les entreprises à relever la totalité des salaires pour compenser la hausse des prix, ce qui aurait justement comme conséquence d’accroître la pression inflationniste comme ce fut le cas dans les années 1975-1985.
Par conséquent, si tout est fait pour soutenir à la fois le pouvoir d’achat des Français et une activité économique suffisante (et en admettant que cela fonctionne), on devrait pouvoir éviter une baisse significative du PIB en 2022. Mais imaginons qu’on n’y parvienne pas et que la croissance reste en territoire négatif pour un, deux ou trois trimestres supplémentaires. On peut tout de même espérer que cela n’excédera pas quelques décimales en dessous de zéro. Rappelons que le recul du PIB au 1er trimestre 2022 représente « seulement » 0.2% par rapport au trimestre précédent, alors que 2021 a justement été marquée par une progression de 6,8% sur l’année (source INSEE) et qu’il faut remonter à 1969 pour trouver une performance équivalente.
Donc, même si le PIB devait continuer à se contracter quelque peu d’ici la fin de l’année, on pourrait tout aussi bien considérer qu’il ne s’agira finalement que d’un rattrapage « mécanique » des oscillations brutales rencontrées par notre économie au cours des 2 années qui viennent de s’écouler.
Auteur et consultant depuis plus de vingt ans dans le domaine de la communication stratégique, il a plusieurs fois travaillé pour le compte d'entreprises financières dont il décrypte aujourd'hui les coulisses et les mécanismes économiques de base à l'intention du plus grand nombre.