On peut s’étonner de voir les élections présidentielles américaines de novembre 2024 prendre autant de place dans les médias français. Mais le fait est que l’issue de ce scrutin aura des répercussions directes sur les consommateurs, les entreprises et les investisseurs français. Si l’élection de Kamala Harris ou le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche semble de prime abord un sujet étranger aux préoccupations quotidiennes des Français, il est crucial de comprendre que les décisions économiques prises par le futur président des États-Unis impacteront l’économie mondiale et, en particulier, l’économie française.
La politique fiscale américaine à l’égard des entreprises françaises
Comme dans tous les pays ouverts sur l’économie mondiale, la fiscalité des Etats-Unis affecte non seulement ses propres entreprises, mais aussi les multinationales opérant sur le sol américain. Et après les élections de novembre prochains, il y a de grandes chances pour que les entreprises françaises opérant aux États-Unis se retrouvent en première ligne.
Ainsi, Kamala Harris prévoit de faire passer l’impôt sur les sociétés de 21 % à 29 %, une hausse qui affecterait directement les multinationales françaises comme L’Oréal ou Airbus, toutes deux actives sur le sol américain et qui constituent surtout le cœur des exportations françaises. Cela viendrait alourdir leurs charges, réduisant ainsi leurs marges et rendant leurs investissements plus coûteux. Harris mise sur cette augmentation d’impôts pour financer ses projets sociaux et écologiques, mais cela pourrait contraindre les entreprises étrangères à réévaluer leurs stratégies d’investissement aux États-Unis.
De l’autre côté, Donald Trump propose de ramener l’impôt sur les sociétés à 15 %, une mesure qui attirerait sans doute les investissements étrangers, y compris ceux des entreprises françaises. Pour Airbus, cette baisse fiscale pourrait même représenter un avantage compétitif temporaire face aux avionneurs américains. Cependant, ce programme de réduction d’impôts pourrait aussi encourager la délocalisation d’entreprises françaises attirées par des conditions fiscales plus favorables, aggravant la désindustrialisation en France dont on sait aujourd’hui qu’elle contribue fortement au taux de chômage structurel du pays.
Écoutez le numéro de "Breaking Cash" consacré à l'élection américaine
Qui de Donald Trump ou Kamala Harris accèdera à la Maison-Blanche début novembre ? Alors que le scrutin est plus incertain que jamais, Mathieu Devaux-Sabarros vous explique les impacts potentiels de la politique des deux candidats sur les Etats-Unis.
Commerce international : protectionnisme ou ouverture ?
Sur le front du commerce international, l’approche adoptée par Kamala Harris serait plus ouverte, bien qu’avec un contrôle accru des pratiques commerciales, notamment à l’égard de la Chine. Elle maintiendrait les taxes déjà en place tout en cherchant à stabiliser les relations commerciales avec l’Europe. Une politique multilatérale de cette nature offrirait une certaine sécurité aux secteurs français du vin, des produits de luxe, et de l’aéronautique. Ces entreprises exportent en effet massivement vers les États-Unis et dépendent grandement de la préservation de ces relations commerciales.
En revanche, l’élection de Donald Trump signifierait un retour au protectionnisme agressif. Il prévoit en effet d’imposer des droits de douane sur toutes les importations, promettant jusqu’à 60 % sur les produits importés de Chine. Ces mesures pourraient déstabiliser les chaînes d’approvisionnement mondiales, mais aussi affecter directement les entreprises françaises, en particulier celles du luxe comme LVMH, ou encore de l’aéronautique comme Airbus, qui concurrence directement Boeing, et qui serait particulièrement vulnérable à ces droits de douane. En outre, ces taxes protectionnistes pourraient rendre les produits français plus chers aux États-Unis, réduisant mécaniquement le nombre d’acheteurs potentiels sur le territoire américain.
Prix de l’énergie et pouvoir d’achat des Français
Le pouvoir d’achat des Français pourrait également être influencé par les décisions prises à Washington, surtout en matière d’énergie. Kamala Harris défend une transition rapide vers les énergies renouvelables, une politique qui pourrait maintenir les prix de l’énergie à un niveau élevé à court terme. Les prix mondiaux de l’énergie, notamment de l’électricité et du gaz, impactent directement les ménages français qui voient leurs factures énergétiques augmenter année après année. Un renchérissement des coûts de production pourrait donc directement renforcer la pression inflationniste ressentie par de nombreux ménages.
Donald Trump, quant à lui, prône sans surprise une exploitation accrue des énergies fossiles (pétrole, gaz, charbon) en supprimant les régulations environnementales. À court terme, cette politique pourrait entraîner une baisse des prix de l’énergie au niveau mondial, y compris en France où les ménages subissent régulièrement des augmentations sur leurs factures de gaz et d’électricité. Les prix de l’essence pourraient baisser également, même si le prix des carburants en France reste largement alourdi par les taxes, ce qui rendrait là aussi les fins de mois plus confortables. Mais cela retarderait également la transition écologique tant nécessaire à la lutte contre le changement climatique. Car il est très probable que les Français préféreront un répit temporaire sur les prix de l’énergie à une approche plus durable mais coûteuse impliquant des technologies plus vertes (indépendamment de leur efficacité, ce qui est un autre débat).
Épargne et investissements : quels impacts pour les Français ?
Ce n’est pas un secret, les marchés financiers français sont étroitement liés à ceux des États-Unis, et les élections américaines pourraient donc entraîner des effets immédiats sur l’épargne des Français. Ainsi, sous la présidence de Kamala Harris, les investisseurs pourraient s’attendre à une plus grande stabilité à long terme grâce à son soutien aux industries vertes et à une régulation stricte des grandes entreprises. Ce qui viendrait rassurer au passage les investisseurs français dont une grosse partie de l’épargne est placée dans des fonds d’assurance-vie, souvent exposés aux actions américaines. Sans oublier que le soutien de Harris aux énergies renouvelables pourrait ouvrir de nouvelles opportunités pour les fonds verts et éthiques en France.
Si Donald Trump est élu, en revanche, sa politique de dérégulation rapide et d’allégement fiscal entraînerait une hausse des marchés à court terme. Certes, les investisseurs français exposés aux marchés américains pourraient s’en féliciter et profiter de gains rapides. Cependant, une plus grande volatilité est à prévoir, notamment si Trump relance une guerre commerciale avec la Chine (et c’est plus qu’une simple hypothèse !), ce qui affecterait la stabilité des marchés. Ce genre d’incertitude n’est jamais idéale pour les placements boursiers, et les épargnants français devront alors faire face à des risques beaucoup plus importants auxquels ils ne sont probablement pas préparés culturellement.
Écoutez le numéro de "Valeur Refuge" sur la guerre de leadership entre la Chine et les États-Unis
Mathieu Devaux-Sabarros reçoit Benjamin Rosoor pour analyser la guerre ouverte entre l'Orient et l'Occident sur le terrain économique et business.
Secteurs industriels français directement touchés
Enfin, on l’a déjà évoqué plus haut, certains secteurs industriels français comme l’aéronautique, le luxe, mais aussi l’agro-alimentaire, le vin ou encore la chimie, pourraient être particulièrement affectés si Donald Trump devait être réélu. Une augmentation des droits de douane, par exemple, et un protectionnisme accru rendraient les produits français moins compétitifs sur le marché américain. Ou simplement plus chers, ce qui en détournerait les consommateurs. Avec au final un risque majeur pour l’emploi dans les entreprises françaises concernées.
Cependant, une nouvelle guerre commerciale avec la Chine pourrait être encore plus perturbante, car elle affecterait les chaînes d’approvisionnement tout entières. De nombreux sous-traitants français qui dépendent des composants chinois pourraient ainsi voir leurs coûts augmenter et même leur approvisionnement perturbé avec un risque de cessation pure et simple de leur activité.
En revanche, sous Kamala Harris, les entreprises françaises spécialisées dans les énergies renouvelables auraient probablement des opportunités de collaboration avec les États-Unis. Le soutien à l’innovation verte de Harris pourrait ouvrir des partenariats transatlantiques, renforçant le leadership français dans ces secteurs stratégiques. Engie et TotalEnergies, par exemple, pourraient trouver un allié de taille dans cette transition énergétique mondiale, à un moment où la France cherche justement à accélérer son propre virage vert tout en exportant son savoir-faire.
Auteur et consultant depuis plus de vingt ans dans le domaine de la communication stratégique, il a plusieurs fois travaillé pour le compte d'entreprises financières dont il décrypte aujourd'hui les coulisses et les mécanismes économiques de base à l'intention du plus grand nombre.