Le ministre de l’économie Bruno Le Maire le répète à l’envi depuis des mois : il n’y aura pas de hausse d’impôt en 2024, ni même probablement jusqu’à la fin de l’actuel quinquennat d’Emmanuel Macron.
Et ce, malgré la multitude de mesures très coûteuses mises en place pour améliorer le pouvoir d’achat des plus modestes, non seulement depuis 2018 et la crise des Gilets Jaunes, mais aussi et surtout depuis 2020 et la crise sanitaire mondiale. Autant de dépenses que le gouvernement reconduit désormais d’années en années, au motif d’une inflation dont on avait oublié le goût depuis 40 ans, mais dont l’addition commence franchement à être salée.
Mais justement, quelle est exactement la nature de toutes ces dépenses ?
Et aussi, pourquoi veut-on nous faire croire que les citoyens n’auront pas à les rembourser de leur poche ? Peut-être parce qu’une fois encore nos dirigeants sont passés maîtres dans l’art de jouer sur les mots…
Ce qu’il faut retenir
- Les centaines de milliards d’euros émis par la BCE ne seront peut-être jamais remboursés…
- La France n’a jamais autant mérité son statut d’Etat Providence.
- Le montant total des dépenses allouées au soutien de l’économie française, ainsi qu’à l’amélioration du pouvoir d’achat des Français face aux crises de ces dernières années, reste très difficile à évaluer précisément.
- La France est désormais plombée par un déficit public record qu’il lui faut de toute façon rembourser, mais sans toucher à l’impôt… en théorie.
- L’impôt sur le revenu étant à la fois emblématique et très sensible auprès des classes moyennes, la tendance de fond est même de le faire baisser année après année, principalement pour des raisons politiques.
- La charge fiscale pesant sur l’ensemble des ménages et des entreprises va pourtant fortement augmenter en 2024.
Un endettement européen très relatif
Alors oui, pendant 15 ans, la planche à billets de la BCE a été portée au rouge pour inonder les Etats membres de la zone euro. Et ce, à un rythme encore plus effréné au cours de ces trois dernières années marquées par une crise sanitaire mondiale, un dérèglement climatique majeur responsable de pénuries agricoles inédites, une hausse des coûts de l’énergie et des matières premières, sans oublier une guerre fratricide aux portes de l’Europe ainsi qu’une guerre commerciale sans merci entre Américains et Chinois dont notre auto-centrisme chronique nous empêche encore de percevoir les conséquences sur notre place dans le monde.
Toutefois, cet argent “communautaire” n’est pas celui qui préoccupe le plus les pouvoirs publics car il est fort possible que la Banque centrale européenne ne réclame jamais de remboursement, au nom de la croissance économique ou de quelque autre principe supérieur. Comme par exemple la nécessité de ne pas ruiner l’un des Etats de l’Union forcé de rembourser alors qu’il n’en a pas les moyens. Sans pour autant non plus lui coller une étiquette de mauvais payeur, ce qui nuirait à sa capacité à se refinancer sur les marchés.
Évidemment, si l’argent créé à cette occasion ne revient plus dans les coffres de la banque centrale, on peut craindre qu’un excédent monétaire dans l’économie ne se traduise in fine par une forte inflation. Rassurons-nous, nos grands argentiers ne sont pas fous et toute ressemblance avec la situation actuelle serait bien sûr purement fortuite et ne pourrait être que le fruit d’une pure coïncidence. Mais passons.
Le retour de l’Etat Providence (qui n’avait jamais vraiment disparu)
Non, le vrai souci réside plutôt sur les mesures de politique budgétaire décidées en interne et qui diffèrent d’un pays à l’autre, en fonction des tendances et des “philosophies” nationales. Par exemple, la France a souhaité faire honneur à sa tradition d’Etat Providence et a donc développé depuis 2020 un véritable arsenal d’aides et de “boucliers tarifaires” en tous genres visant à protéger à la fois les ménages et les entreprises.
Plans de relance, fonds de solidarité, financement du chômage partiel, mais aussi prises en charge tarifaires, chèques énergie, remises sur les carburants, aides au pouvoir d’achat… On ne compte plus les mesures décidées pour faciliter le quotidien des Français en dépit de la crise sanitaire, puis inflationniste, qui ne cesse d’agiter le monde depuis 3 ans maintenant.
Sauf que ce qu’on ne parvient pas non plus à compter précisément, c’est justement le coût de toute cette monumentale générosité étatique qu’on n’avait jamais vue jusqu’ici, même du temps où la France avait la naïveté de croire qu’elle était gouvernée par des Socialistes.
Des dépenses qu’on peine encore à chiffrer
Certes, il y a bien des chiffres qui circulent ici ou là. Par exemple, on a appris que le budget alloué fin 2022 au titre du bouclier tarifaire sur l’énergie pour soutenir le pouvoir d’achat des ménages avait été chiffré à 45 milliards d’euros. On sait finalement qu’il a probablement coûté 7 milliards d’euros supplémentaires…
On peut aussi évoquer une note de la Cour des comptes datant de juillet 2023 qui évalue à 260 milliards d’euros le soutien financier total aux entreprises depuis 3 ans, y compris les prêts garantis et le report du paiement des cotisations sociales, soit 10% d’un PIB annuel.
De la même façon, un rapport d’information sénatorial du 27 juin 2023 dévoile le montant des aides directes de l’Etat pour aider les consommateurs à faire face à l’explosion de leurs dépenses en énergie : 85 milliards d’euros entre 2021 et 2023, dont presque la moitié juste pour aider les ménages à se chauffer pas trop cher.
La liste est encore longue, mais pas très facile à recouper. Au final, on pourrait presque s’en remettre à l’annonce du président Emmanuel Macron qui, dès le début de la crise du coronavirus, avait prévu de mobiliser 500 milliards d’euros au titre d’un effort de guerre “pour notre économie, pour les travailleurs, pour les entrepreneurs, mais aussi pour les plus précaires.” Et encore à l’époque, la seule guerre qu’il envisageait impliquait simplement un virus inconnu que l’on pensait issu des amours malheureuses entre une chauve-souris et un pangolin chinois. Vladimir Poutine était encore ce copain un peu gênant qu’on invitait quand même aux repas de famille du G7 pour éviter qu’il se vexe. Quant à l’inflation, c’était un truc obscur du XXe siècle qui rappelait la télé en noir et blanc, les pantalons pattes d’eph et le journal télévisé d’Yves Mourousi.
Un déficit public record qu’il faut combler
En 2023, force est pourtant de constater qu’on a beaucoup dépensé. Beaucoup trop. La dette publique française a même atteint des sommets inédits, dépassant les 100% du PIB. Une situation qui est non seulement le résultat de plusieurs années de déficits budgétaires, mais qui a été en outre exacerbée par les dépenses exceptionnelles liées à la crise sanitaire et aux mesures de soutien à l’économie précitées.
Ajoutons à celà la remontée des taux d’intérêt, décidée par la Banque Centrale Européenne dans un contexte d’inflation élevée, et on comprend que la situation est difficilement tenable à moyen ou long terme. Et, même sans avoir fait l’ENA, on se doute bien qu’il va falloir penser à rembourser à un moment ou à un autre?
Or, quand on parle d’argent public, les recettes sont en général des impôts. Et c’est là que ça coince car, le gouvernement l’a dit et répété : il n’y aura pas de hausses d’impôts.
Cependant, permettez-moi de faire un petit point sémantique sur la notion d’impôt justement. La France est un pays qui aime les mots, mais aussi les symboles. Par exemple, quand on parle d’impôts, ce terme regroupe en réalité un grand nombre de prélèvements obligatoires qui peuvent être également baptisés taxes, contributions, droits, redevances, etc. Quant à la symbolique, c’est un outil puissant qui permet de focaliser l’attention des citoyens sur quelques étendards emblématiques afin de masquer l’essentiel de la politique fiscale du pays.
Cet étendard, c’est l’impôt sur le revenu, sacro-sainte incarnation de la voracité publique sur nos revenus durement gagnés. Et justement, s’il y a bien quelque chose qui baisse continuellement depuis 5 ou 6 ans (et qui va très certainement continuer à baisser jusqu’en 2027), c’est l’impôt sur le revenu.
On ne touche pas à l’impôt sur le revenu, sauf pour le baisser !
Début septembre 2023, afin de neutraliser les effets de l’inflation sur le pouvoir d’achat des ménages, le gouvernement français a pris la décision de revaloriser les tranches d’imposition sur le revenu de 4,8% pour l’année 2024. En clair, nous ne paierons pas d’impôt supplémentaire même en cas d’augmentation de nos revenus (dans la limite de 4,8%). Nous pourrions même voir notre montant d’imposition baisser à revenu égal. Voire être exonérés si le premier seuil d’imposition dépasse notre revenu imposable.
À noter que le gouvernement avait déjà pris une décision similaire l’année dernière, en votant une augmentation de 5,4% du barème de l’impôt 2023.
Rien que pour cette année, cet élan de générosité fiscale va coûter 6 milliards d’euros de manque à gagner pour les finances publiques. Qui s’ajouteront aux 6,2 milliards d’euros perdus en 2023 pour la même raison.
Décidément, plus la France a besoin de se renflouer et plus elle semble se priver de recettes. Curieux ? Non, parfaitement réfléchi sur le plan politique. Car il a beau être emblématique, l’impôt sur le revenu n’est en réalité payé que par 18 millions de ménages français (sur quasiment 40 millions), dont l’écrasante majorité constitue ce que l’on appelle la classe moyenne. Or c’est justement parmi ces “petits” contribuables qu’est né le noyau dur du mouvement des Gilets Jaunes, avant que ce soulèvement populaire mû par un profond ras-le-bol fiscal soit récupéré par les extrémistes politiques de tout poil qui lui ont fait revendiquer tout et n’importe quoi.
Donc, l’impôt direct sur les revenus des classes moyennes, on n’y touche pas, sauf pour le baisser.
Mais en réalité, la charge fiscale va bel et bien augmenter en 2024. Et probablement les années suivantes.C’est juste que cela se verra moins facilement grâce à la magie des impôts indirects, des suppressions de niches fiscales et des taxes socialement justes puisque infligées aux méchantes entreprises qui font des bénéfices ainsi qu’aux vils bourgeois pleins de sous.
Une charge fiscale en forte hausse pour 2024
Plus sérieusement, et sans entrer dans une liste à la Prévert, on peut toutefois citer :
- La TVA qui augmente mécaniquement avec la hausse des prix liée à l’inflation et devrait donc finalement rapporter 183,9 milliards de recettes fiscales en 2024, soit 7,6 milliards de plus qu’en 2023.
- L’impôt sur les sociétés qui, grâce à un certain dynamisme économique que la BCE s’efforce de casser, permettra à l’Etat d’encaisser 4.6 milliards de plus qu’en 2023, soit 91,4 milliards en 2024.
- Une nouvelle augmentation de la taxe foncière de 4,2 % en 2024, après les 7,1% de 2023 — qui sont en réalité rapidement montés à 20, 30 ou 50% grâce à l’ajout des taxes départementales et régionales —, sans oublier la taxe foncière sur les propriétés non bâties qui devrait porter le total des recettes attendues à près de 50 milliards d’euros en 2024. A noter qu’un nouveau calcul du montant des taxes foncières est prévu pour 2026, avec une forte revalorisation des “valeurs locatives”.
- La cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), dont la baisse progressive devrait mener à sa suppression en 2027, mais qui rapportera tout de même encore 4,16 milliards d’euros l’an prochain,
- Certaines dépenses jusqu’ici déductibles de l’assiette d’imposition pour l’impôt sur la fortune immobilière et qui ne le seront plus, ce qui devrait faire augmenter d’environ 49 millions les recettes de l’IFI pour atteindre les 2,44 milliards d’euros en 2024.
- Une nouvelle contribution fiscale qui devra être payée par les aéroports (+100 millions d’euros en 2024) et les concessions autoroutières (+500 à 600 millions d’euros en 2024). Gageons que les automobilistes ainsi que les voyageurs verront le prix de leurs trajets augmenter sensiblement en réaction…
- La taxe sur les surfaces commerciales (TASCOM) qui avoisinera le milliard d’euros l’an prochain, soit 100 à 200 millions supplémentaires par rapport à 2023.
- Dans le même ordre de grandeur, on peut également évoquer la cotisation foncière des entreprises (CFE), qui est censée baisser depuis 2021, mais qui continue cependant à grimper pour certains professionnels dont le point commun semble d’être implantés en milieu rural avec peu de tissu industriel (là encore entre 100 et 200 millions d’euros supplémentaires par rapport à l’an dernier).
En dehors de ces taxes dont on connaît plus ou moins le montant à venir, il y a également tout un train de mesures secondaires dont l’objectif sera, sinon de faire entrer de nouvelles recettes fiscales, au moins de limiter les dépenses de l’Etat. Notons ainsi par exemple :
- la reconduction de l’imposition des surprofits des producteurs d’électricité,
- la baisse des seuils déclencheurs des malus automobiles,
- un régime fiscal moins favorable pour l’emploi à domicile,
- le durcissement de la fiscalité des meublés de tourisme,
- etc.
Certes, il y aura aussi pas mal de baisses d’impôts et de suppressions de taxes, mais au total, L’Etat devrait donc encaisser plus de 349,4 milliards d’euros de recettes fiscales en 2024, contre 332,1 milliards en 2023.
Donc, c’est vrai, il n’y aura pas d’augmentation d’impôt (sur le revenu) en 2024. Mais les contribuables comme les entreprises se verront malgré tout ponctionnés de 17 milliards d’euros de charges fiscales supplémentaires !
Auteur et consultant depuis plus de vingt ans dans le domaine de la communication stratégique, il a plusieurs fois travaillé pour le compte d'entreprises financières dont il décrypte aujourd'hui les coulisses et les mécanismes économiques de base à l'intention du plus grand nombre.