Depuis la faillite de la Silicon Valley Bank (SVB), en mars dernier, suivie de plusieurs autres défaillances d’établissements, aussi bien aux Etats-Unis qu’en Europe, beaucoup s’inquiètent d’une nouvelle crise financière à l’échelle mondiale. Et ce, en dépit des efforts des Banques Centrales pour endiguer le phénomène de contamination.
D’ailleurs, l’actuelle déroute de la First Republic Bank, dont l’un des principaux clients n’est autre que Mark Zuckerberg, le fondateur de Facebook, ne fait rien pour rassurer les observateurs. Mais après tout, n’est-on pas simplement en train d’assister à un mécanisme normal de régulation, ou encore de fluctuation, inhérent à la nature-même des marchés financiers modernes ? En d’autres termes, les crises bancaires ne sont-elles pas juste un mal chronique et inévitable de l’économie ?
La crise bancaire : une récurrence coûteuse
On peut les craindre, les regretter ou chercher à les éviter, il n’en demeure pas moins que les crises sont des phénomènes récurrents dans l’histoire de l’économie mondiale. Depuis les années 1970, plusieurs épisodes majeurs ont ainsi secoué le marché de la banque, entraînant des conséquences économiques et sociales parfois considérables.
Car au-delà des perturbations qui peuvent parfois affecter les institutions ou les marchés financiers, c’est bien souvent l’économie tout entière qui se voit fragilisée, entraînant alors des tensions sociales majeures et durables. Ainsi, il n’est pas rare qu’une tourmente financière finisse par entraîner une récession économique, une augmentation du chômage, une baisse de la confiance des investisseurs et des consommateurs, ainsi qu’une instabilité politique et géopolitique.
Sans oublier que toutes ces convulsions ont un coût, et qu’il est généralement supporté par les contribuables, les épargnants et les investisseurs, en clair les citoyens qui subissent des pertes importantes en raison, la plupart du temps, d’erreurs de gestion (voire de malversations !) de la part de certains acteurs économiques institutionnels dont on reproche souvent au pouvoir politique et judiciaire de ne pas réellement les sanctionner pour leurs errements. Et rien que sur les cinq dernières décennies, les exemples sont nombreux.
Cycliques et presque prévisibles
En effet, quand on regarde l’histoire de ces dernières décennies, les paniques bancaires semblent se reproduire avec une étonnante régularité. Et compte tenu de leurs causes, parfaitement identifiées à chaque fois, mais sans qu’on essaie pour autant de les empêcher (on se contente d’en réparer les effets a posteriori), il y a de grandes chances qu’elles continuent à se produire à l’avenir. Jusqu’ici, on estime qu’il y a eu à peu près une crise majeure tous les 5 ans depuis 1973.
Le premier choc pétrolier de 1973 a plongé plusieurs pays dans une crise économique importante. Cette période a notamment été marquée par une augmentation des taux d’intérêt, une inflation galopante et des déficits budgétaires importants. Les consommateurs ont évidemment été frappés de plein fouet, mais les banques elles aussi ont été touchées, en particulier les officines américaines qui avaient prêté massivement aux pays en développement dont les coûts d’importation ont littéralement explosé tandis que leurs exportations s’effondraient. Et lorsque ces pays ont commencé à avoir des difficultés à rembourser leurs dettes, les banques ont subi des pertes importantes, et certaines ont même été contraintes à faire faillite, faisant perdre des millions de dollars aux particuliers qui leur avaient confié leur argent. Curieusement, les mêmes causes ont produit les mêmes effets lors du second choc pétrolier entre 1976 et 1979…
Alors que les Américains se relevaient à peine du premier choc pétrolier des années 1970, de nombreux pays d’Amérique latine ont connu une crise de la dette en raison d’investissements massifs dans la production pétrolière pour profiter, justement, de la hausse du prix de l’or noir. Sauf que pour bénéficier de cette aubaine, ces pays se sont lourdement endettés auprès des banques internationales. Mais la brutale remontée des taux d’intérêt élevés destinée à endiguer l’inflation qui repartait à la hausse au début des années 1980 a rendu les remboursements impossibles, entraînant une nouvelle crise mondiale qui a eu de lourdes répercussions sur les économies américaines et européennes.
A partir de 1986, les Caisses d’épargne américaines (appelées aussi « Savings and Loan ») ont connu une crise majeure en raison de la déréglementation du marché des banques et d’une surestimation de la générosité fiscale du gouvernement des USA. En réalité, les Savings and Loans étaient des établissements qui prêtaient principalement de l’argent pour financer des projets immobiliers en jouant sur certains avantages fiscaux qui permettaient de meilleures plus-values. Sauf qu’une loi votée au milieu des années 80, le Tax Reform Act, est venue fortement limiter les déductions fiscales promises, entraînant finalement la fermeture de plus de 1600 institutions financières, malgré un plan de sauvetage mis en place par le gouvernement américain pour un coût total d’environ 150 milliards de dollars. Somme considérable remboursée évidemment par les contribuables.
Entre 1990 et 2000, plusieurs pays asiatiques ont connu une croissance économique rapide, alimentée par des investissements étrangers massifs. Cependant, cette croissance a été alimentée par une forte augmentation de l’endettement, en particulier dans le secteur bancaire. Lorsque la confiance des investisseurs a diminué, les pays asiatiques ont été confrontés à des sorties massives de capitaux, entraînant une effondrement financier majeur. Là encore, cette crise a conduit à des défaillances d’entreprises, des dévaluations de monnaies et une récession économique dans plusieurs pays de la région. Sans compter la perte des économies de toute une vie pour des millions d’épargnants.
C’est probablement le cataclysme économique le plus célèbre de ces dernières décennies. Il a été provoqué par la vente de prêts hypothécaires à des emprunteurs qui ne pouvaient pas se permettre de les rembourser. Lorsque les emprunteurs ont commencé à faire défaut, la valeur de ces titres financiers a chuté, entraînant une débâcle financière majeure en provoquant la défaillance de certains acteurs qui avaient racheté ces titres avec la promesse d’un rendement élevé. Outre les particuliers qui avaient contracté ces prêts et qui se faisaient saisir leur maison, avec les conséquences dramatiques qu’on imagine sur leur vie et leur situation financière, l’impact de cette crise sur la croissance économique et notamment sur l’emploi a plongé des millions de gens dans une situation économique précaire.
Dans la période qui a suivi l’épisode des subprimes, les pays européens les plus endettés ont eux-aussi subi une violente correction, en grande partie due à des politiques budgétaires inadéquates et une économie mondiale qui peinait à se relever de la précédente période de tension (celle des subprimes). C’est plus précisément l’accumulation d’une dette publique importante dans plusieurs pays de la zone euro, en vue notamment de renflouer les banques en difficulté après 2008, qui a mené à des problèmes de solvabilité dans plusieurs pays européens, tels que la Grèce, l’Italie et l’Espagne,entraînant au bout du compte une récession économique prolongée dans toute la zone euro.
Plus discrète, cette crise qui a frappé les pays émergents a la fin de la dernière décennie est liée à la faiblesse persistante des taux d’intérêt mondiaux, qui ont poussé certains investisseurs à chercher des rendements plus élevés dans des économies un peu plus exotiques. Mais lorsqu’à partir de 2018, la Réserve fédérale américaine a commencé à relever ses taux d’intérêt, les investisseurs ont rapidement rapatrié leurs milliards vers les États-Unis, entraînant un assèchement financier dans les pays émergents qui ont dû, dans le même temps, faire face à une chute des prix des matières premières dont ils étaient bien souvent exportateurs. Cette baisse de liquidités a bien évidemment rendu leur dette plus difficile à rembourser, mais au-delà des problèmes budgétaires rencontrés par ces pays, c’est là encore leur population qui a payé le prix fort en voyant par exemple leurs économies disparaître avec la faillite de certaines banques de leurs pays, le chômage exploser en raison de la perte des investissements étrangers, etc. Sans parler des investisseurs particuliers américains qui s’étaient laissés séduire par les prévisions de rentabilité promises par certains fonds de pension, et qui y ont finalement perdu une bonne partie de leur future retraite.
Dernière vraie crise économique digne de ce nom, celle de 2020 liée à la pandémie de Covid-19 a tout d’abord concerné l’activité industrielle et commerciale avant, très logiquement d’avoir des répercussions importantes sur le système bancaire mondial. Tout en laissant carte blanche aux banques centrales pour émettre de la monnaie “quoi qu’il en coûte” afin d’éviter un effondrement du système financier, les gouvernements ont, de leur côté, massivement investi pour soutenir les entreprises et protéger les individus. Pour l’instant, bien que certains pays aient adopté des mesures fiscales pour financer les dépenses liées à la Covid-19, ces taxes ont principalement concerné certaines sociétés qui avaient fait des “super-profits” durant la pandémie (les géants du e-commerce en France par exemple), ou encore certains produits très ciblés (comme les carburants ou les billets d’avion en Allemagne). Mais il faut reconnaître que la population n’a pas véritablement subi d’augmentation significative de la pression fiscale. Pour l’instant…
Les causes des crises bancaires
La liste des épisodes énumérés plus haut le montre assez bien, les causes de défaillance du système bancaire sont un petit peu toujours les mêmes :
- des pratiques de prêt risquées,
- une réglementation laxiste,
- une instabilité politique et économique liée à un phénomène exogène (pandémie, pénurie de matières premières, conflit…),
- ou encore l’apparition de bulles spéculatives.
Le plus souvent, ce sont tout de même des problèmes de liquidité ou de solvabilité, qui se produisent lorsque les banques ont des difficultés à se procurer les sommes nécessaires au remboursement de leurs dettes à court terme, ou quand elles essuient des pertes financières importantes qui dépassent leurs fonds propres.
Très souvent (et ce fut le cas lors des derniers épisodes du mois de mars 2023 avec la faillite de la SVB), s’ensuivent également des phénomènes de bankrun, c’est à dire une perte de confiance tellement grande de la part des clients qu’ils finissent par se ruer en grand nombre aux guichets de leur banque pour récupérer leurs dépôts le plus vite possible. Le problème c’est que, même lorsqu’elle est infondée, la crainte d’insolvabilité à l’origine de ce mouvement de panique devient une réalité auto-réalisatrice puisque les banques n’ont jamais assez de liquidités pour restituer leur argent à tous leurs clients.
La crise bancaire actuelle peut-elle s’étendre ?
Quoi qu’il en soit, le risque majeur d’une crise, même localisée (bien qu’aujourd’hui, la mondialisation de la finance favorise grandement la généralisation d’une telle flambée à l’échelle de la planète), c’est d’entraîner une cascade de faillites en raison des politiques d’investissements croisés.
Fort heureusement, les perturbations actuelles, qui restent largement limitées aux banques secondaires américaines, sont surtout liées à un défaut de régulation concernant les “petites” banques, et il y a très peu de risques que cela dégénère en crise systémique, notamment parce que les établissements touchés pour l’instant évoluent sur des secteurs d’investissement de niche.
Existe-t-il des remèdes pour régler, voire prévenir une crise bancaire ?
Ce présent article aborde la fragilité des banques comme un “mal” chronique inhérent à la nature des marchés financiers. Et comme dans toute “maladie”, la prévention reste la priorité, tant il est vrai que c’est toujours plus compliqué de recoller les morceaux d’un plat plutôt que d’essayer de ne pas le casser.
On peut par exemple envisager une réglementation plus stricte, en imposant des ratios de fonds propres plus élevés ou en limitant les prêts risqués. On peut également imposer une surveillance régulière des banques pour détecter les signes précurseurs d’un krach, comme une augmentation du volume de prêts risqués ou encore une baisse des fonds propres.
Lorsqu’une banque est déjà en difficulté, les autorités politiques et financières, telles que les banques centrales, peuvent provisoirement lui fournir des liquidités, voire la recapitaliser, même s’il se pose alors d’autres questions comme par exemple l’éventualité de la nationalisation de l’établissement en question.
Enfin, une plus grande coordination internationale aide d’ores et déjà à limiter la propagation des premiers troubles à une trop grande échelle, mais il reste beaucoup de chemin à parcourir, notamment lorsque les différentes économies ou susceptibles de l’être sont en concurrence politique, commerciale voire idéologique. On peut ainsi penser aux difficultés susceptibles d’exister lorsqu’il faut coordonner les efforts de pays aussi opposés que la Chine et les USA par exemple.
Pour autant, certains de ces remèdes ont déjà été appliqués dans le passé et ont même donné des résultats probants. Par exemple, les réglementations mises en place après le choc financier de 2008 ont contribué à renforcer les bilans des banques en fixant des seuils minimums de fonds propres et en durcissant les conditions d’octroi de crédit ou d’exposition au risque d’investissement. De la même façon, l’intervention rapide des autorités a permis de stabiliser les établissements en difficulté et de prévenir un emballement généralisé qui aurait pu purement et simplement détruire le système bancaire mondial.
Le problème, c’est que toutes ces mesures ne suffisent pas, en particulier parce que de nouveaux domaines d’investissement (et de risque !) surgissent chaque jour (on ne parlait pas de cryptomonnaies en 2008…). Ensuite, toutes les crises ne peuvent pas forcément être réglées avec les remèdes existants, et sans doute faut-il encore travailler sur de nouvelles situations à venir plus efficaces et plus universelles. Enfin, les crises qui ont pu être résolues, grâce notamment à une intervention forte des autorités, ont quand même eu des conséquences durables pour les économies concernées. Des conséquences sur la souveraineté, l’emploi, le pouvoir d’achat et bien d’autres dommages économiques dont nous payons encore le prix aujourd’hui.
Auteur et consultant depuis plus de vingt ans dans le domaine de la communication stratégique, il a plusieurs fois travaillé pour le compte d'entreprises financières dont il décrypte aujourd'hui les coulisses et les mécanismes économiques de base à l'intention du plus grand nombre.