Depuis quelques mois, la crise énergétique est devenue la préoccupation première des Européens, dépassant même de l’inflation qui tutoie pourtant des sommets qu’on n’avait plus atteints depuis plusieurs décennies. A en croire les responsables politiques qui s’expriment sur le sujet, mais aussi les différents experts qui se succèdent sur les plateaux de télévision ou encore dans les colonnes des plus grands médias d’information, ce ne serait pas seulement notre confort individuel qui serait menacé, mais rien moins que la stabilité économique des principaux pays de l’Union Européenne.

Alors, réel danger ou mauvaise interprétation des risques ? 

Quelle est l’origine de la crise énergétique actuelle ?

La première chose à comprendre c’est comment on en est arrivés là, ou plus exactement, quelles sont les causes qui ont pu nous amener à parler de crise énergétique depuis un peu plus d’un an maintenant.

Guerre en Ukraine et Covid-19 : coupables idéals

A cet égard, la guerre en Ukraine fait évidemment figure de coupable idéal, mais le problème est plus ancien, l’agression russe n’ayant que précipité une tendance qui se dessinait déjà plus d’un an auparavant. La pandémie de Covid-19, elle aussi, pourrait passer pour responsable de la situation énergétique actuelle ; d’abord en ayant amené les principales économies productrices d’énergie à réduire considérablement leur activité ; ensuite en ayant provoqué une explosion de la demande au sortir de la crise sanitaire. Mais là encore, si ces phénomènes sont bien réels et ont fortement contribué à la hausse des prix de l’énergie, ils n’en sont pas à l’origine.

Une augmentation de la demande plus ancienne

En réalité, il faut remonter plus loin et aller voir du côté de la Chine dont les besoins énergétiques ont considérablement augmenté depuis les années 2010. Des besoins qui ont même été multipliés par 10 si on ne prend en compte que le gaz naturel. Entre 2019 et 2020, malgré le fort ralentissement économique lié au coronavirus, la Chine a représenté un quart de la consommation mondiale d’énergie, une demande qu’elle est bien incapable de fournir en interne et qui en fait le premier pays importateur de la plupart des énergies fossiles, à commencer par le gaz qu’elle achète principalement aux Etats-Unis et à l’Australie sous forme liquéfiée (GNL), mais aussi dans une moindre mesure à la Russie par l’intermédiaire du gazoduc sibérien qui relie les deux pays.

Une accumulation de causes conjoncturelles

En 2021, comme partout ailleurs dans le monde, le relâchement relatif des contraintes sanitaires a relancé la production chinoise avec force, non seulement pour répondre à l’explosion de la demande extérieure de la part de nombreux pays qui voulait rapidement retrouver leur niveau de consommation d’avant-crise, mais aussi tout simplement pour recoller aux plans de croissance à long terme dictés par le Parti. 

A cela il faut ajouter une décarbonation (relative !) de l’appareil industriel chinois, ce qui revient chez eux à troquer la houille et le charbon contre des énergies moins polluantes, même s’il s’agit encore de combustibles fossiles pour une grande partie, et donc de gaz naturel. Ce qui laisse supposer une demande encore accrue pour les années à venir, et donc de probables tensions sur les prix à venir.

Pour l’Europe, dont certains pays sont restés très dépendants du gaz russe, cette politique de forte demande chinoise couplée aux sanctions à l’encontre de Moscou en raison de la guerre en Ukraine ont entraîné non seulement une baisse très ponctuelle de l’approvisionnement dans le courant de l’année 2022, mais aussi et surtout de fortes craintes sur l’approvisionnement futur.

Découvrez ou redécouvrez l'interview de Nicolas Meilhan sur la crise énergétique

L'entretien a été réalisé dans le cadre de la rencontre annuelle AuCOFFRE en Décembre 2022.

Quelles conséquences réelles pour l’Europe ?

Pour la plupart des pays situés à l’Est de l’Europe, le gaz russe reste essentiel et les récentes sanctions contre les visées impérialistes de Poutine sonnent surtout comme une condamnation au ralentissement économique. Même l’Allemagne, qui a depuis longtemps basé son apparente prospérité sur l’absence de souveraineté énergétique efficace (on ne fait pas tourner un pays de 80 millions d’habitants avec des éoliennes et des panneaux solaires), se retrouve aujourd’hui prise au piège de sa politique de dépendance à l’égard de la production russe.

Mais doit-on pour autant redouter un hiver économique pour l’Union Européenne ? Fort heureusement non.

D’abord parce que la situation présente est loin d’être aussi catastrophique qu’on a bien voulu nous le faire croire. Et surtout parce que l’avenir s’annonce également bien moins sombre qu’on se plaît à l’anticiper dans le but, peut-être, de faciliter la hausse ponctuelle du prix de l’énergie.

Une Europe solidaire qui peut se passer du gaz russe

Passons rapidement sur la solidarité européenne qui a déjà fait ses preuves à de nombreuses reprises ces dernières années, qu’il s’agisse de pallier les crises financières, les problèmes d’approvisionnement sanitaire au moment de la crise de Covid-19 ou encore la mutualisation des besoins de financement. En matière énergétique aussi, cette solidarité a d’ores et déjà montré ses premiers effets, avec par exemple la France qui, depuis le 13 octobre dernier, achemine régulièrement du gaz à destination de l’Allemagne pour l’aider à compléter ses réserves.

Mais il faut également se souvenir que, d’une manière générale, la Russie n’est plus le premier fournisseur de gaz en Europe. La Norvège, l’Algérie, le Qatar et les Etats-Unis ont largement pris le relais.

Des prix de l’énergie en forte baisse

De la même façon, pour ne parler que de la France, notre pays est finalement très peu dépendant du gaz, quelle que soit son origine, et doit sa souveraineté énergétique à sa place de première puissance nucléaire civile au monde. Malheureusement, par le jeu d’un obscur calcul d’harmonisation tarifaire, le prix de l’énergie, et notamment de l’électricité, est fixé à partir du prix du gaz. Et c’est vrai que celui-ci a beaucoup augmenté sous l’effet des causes énoncées plus haut, mais surtout de manière anticipée par les marchés qui craignent une pénurie qui n’existe pas vraiment.

Sauf qu’il a beaucoup baissé depuis quelques mois, même si on oublie de le signaler. Selon l’Agence internationale de l’énergie, le prix de gros de référence pour le gaz vendu en Europe continentale (TTF) est passé de 340 € le mégawattheure en août dernier à 74 € aujourd’hui, soit une baisse de presque 80% ! Forcément, cette baisse va tirer les prix de l’énergie vers le bas et démontre également que l’offre peut répondre à la demande.

Une mauvaise anticipation de la réalité énergétique

D’ailleurs, alors même qu’on nous promettait un hiver de fin du monde, où allait devoir choisir entre manger et se chauffer (ce qui reste malheureusement le quotidien de millions de Français en dehors de toute crise particulière), il semble que la période des fêtes de fin d’année ne se soit pas si mal passée. Et pour cause : dès l’automne, on savait que notre capacité de production électrique allait suffire, en dépit de l’arrêt de presque la moitié de nos réacteurs nucléaires. On n’avait pas alors compté sur une relative douceur du climat (qui est tout de même assez fréquente sous nos latitudes depuis de nombreuses années maintenant), ni sur le fait qu’on allait rouvrir plusieurs réacteurs avant Noël, et encore moins sur la discipline des Français qui ont permis une réduction de 10% de la consommation d’électricité en quelques semaines à peine.

Les capacités françaises au beau fixe

Au final, non seulement les 43 réacteurs actuellement en fonctionnement assurent sans souci le surcroît de demande intérieure, mais la France est même redevenue exportatrice nette d’électricité, pouvant d’ailleurs ainsi compenser les besoins de certains de nos voisins européens. Quant à nos stocks de gaz, on savait également qu’ils nous permettraient de passer l’hiver sans problème. Et malgré les récents épisodes de froid qui nous ont obligé à piocher dans nos réserves, leur remplissage actuel de 83% reste largement au-dessus de tout niveau préoccupant. Comme partout ailleurs en Europe…

Enfin, nos capacités de production hydroélectriques sont elles aussi correctement rechargées puisque les réservoirs d’eau derrières nos barrages sont remplis à 71% de leur capacité, soit 6 points au-dessus de leur normale saisonnière.

Savoir prévoir

Par conséquent, on peut toujours imaginer un hiver 2023/2024 compliqué, et certains politiques ne se privent pas de faire planer cette menace pour justifier certaines mesures d’austérité, mais rien n’indique que ces sombres prophéties se réaliseront. L’aptitude des gouvernants à anticiper les crises durant ces dernières années autorise d’ailleurs une certaine réserve au sujet des perspectives qu’ils peuvent évoquer.

Une fois encore, c’est à chacun d’entre nous qu’il appartient de se préparer aux différentes éventualités, qu’il s’agisse de notre confort (en prévoyant une deuxième source de chauffage alternatif par exemple) ou encore de notre patrimoine en protégeant le pouvoir d’achat d’une partie de notre capital par l’achat d’or, si possible toujours disponible par l’intermédiaire d’une carte de paiement adossée à votre stock de métal précieux.


Bruno GONZALVEZ

Auteur et consultant depuis plus de vingt ans dans le domaine de la communication stratégique, il a plusieurs fois travaillé pour le compte d'entreprises financières dont il décrypte aujourd'hui les coulisses et les mécanismes économiques de base à l'intention du plus grand nombre.