La censure du gouvernement de Michel Barnier par l’Assemblée nationale le 4 décembre 2024 a parachevé la séquence politique désastreuse et incertaine que traverse la France depuis plusieurs mois. Mais au-delà de l’instabilité institutionnelle, c’est toute l’économie française qui se retrouve en suspens, avec des répercussions immédiates sur le budget, les finances publiques et les secteurs économiques clés.

Comment en est-on arrivé là ?

Le vote de défiance de l’Assemblée nationale, largement anticipé mais néanmoins déstabilisant, a mis en lumière les fractures politiques aussi bien que les tensions économiques profondes qui divisent le pays. La chute de l’exécutif intervient en effet dans un contexte de mécontentement généralisé face à une tentative de redresser les finances publiques tout en répondant aux attentes de changements structurels ambitieux… mais forcément impopulaires dans un pays historiquement réfractaire à toute réforme. Sans oublier un déficit chronique et une dette publique qui ne cessent d’augmenter année après année, fragilisant la position économique de la France sur la scène européenne et internationale.

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En choisissant de recourir à l’article 49.3 de la Constitution pour faire adopter sans vote le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2025, Michel Barnier n’a pas seulement repris la solution de facilité de tous ses prédécesseurs de la Vᵉ République, il a surtout ajouté la dernière goutte à un vase qui menaçait de déborder depuis trop longtemps. L’opposition, déjà vent debout contre un budget jugé “austéritaire” (néologisme et nouvel adjectif à la mode parmi les députés de gauche), a alors déposé une motion de censure qui a rassemblé 331 voix, soit bien au-delà des 288 nécessaires pour faire chuter le gouvernement.

Outre le caractère quasiment inédit de cette situation (qui n’était pas arrivée depuis plus de 60 ans !), c’est surtout l’alliance quasiment contre-nature entre le Nouveau Front Populaire (NFP) à gauche et le Rassemblement National (RN) à droite qui témoigne de l’ampleur des résistances politiques, mais aussi de la gravité de la situation économique.

Une nouvelle instabilité politique aux conséquences économiques immédiates

Aujourd’hui, les plans budgétaires prévus pour 2025, notamment une réduction ambitieuse du déficit de 60 milliards d’euros, semblent définitivement abandonnés. L’absence de loi de finance pour l’année prochaine bloque la mise en œuvre de nombreuses réformes attendues par la plupart des secteurs économiques. Le rejet des mesures budgétaires par l’Assemblée met également en péril des crédits essentiels, notamment pour la défense, l’immobilier, ou encore la transition énergétique.

Certes, sur le plan institutionnel, la continuité de l’État reste assurée par des mécanismes légaux. Par exemple, la reconduction automatique du budget 2024, prévue par la Constitution, garantit temporairement le fonctionnement des services publics. Toutefois, ce cadre légal ne permet pas d’ajuster les dépenses à l’évolution des priorités ou aux pressions économiques récentes. Ainsi, la réforme fiscale prévue pour indexer l’impôt sur le revenu à l’inflation ne pourra pas être appliquée, ce qui risque de pénaliser de nombreux contribuables.

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Une pression accrue sur les contribuables français

En effet, l’absence d’indexation de l’impôt sur le revenu à l’inflation, prévue dans le budget Barnier, se traduit par une augmentation implicite des prélèvements pour 17,6 millions de ménages. De la même façon, environ 380 000 foyers supplémentaires pourraient devenir mécaniquement imposables.

Sans oublier que cette situation pourrait également accentuer les inégalités fiscales, en particulier pour les classes moyennes, souvent les plus exposées à de tels ajustements.

Alors, c’est vrai qu’un nouveau budget pourrait être voté début 2025, potentiellement avec effet rétroactif pour corriger cette situation. Mais l’ajustement du taux d’imposition n’interviendra probablement pas avant août ou septembre 2025, c’est-à-dire après les déclarations de revenus, avec peut-être des remboursements à partir du mois d’octobre de l’année prochaine. D’ici là, les contribuables auront été obligés de payer un impôt plus élevé que prévu, amputant encore davantage leur pouvoir d’achat sur les neuf ou dix premiers mois de l’année.

Et évidemment, face à des perspectives économiques aussi peu réjouissantes, les Français pourraient être tentés de réduire leurs dépenses, amplifiant ainsi le ralentissement de la croissance.

Un budget gelé qui pénalise les secteurs stratégiques

Et puisqu’on parle de croissance économique, la non-adoption du budget 2025 a aussi des répercussions immédiates sur plusieurs secteurs clés de l’économie française. La défense, par exemple, voit son enveloppe de 50,5 milliards d’euros bloquée. Ce retard met en péril des investissements cruciaux, notamment la création de 700 postes dans l’armée et des commandes stratégiques pour des entreprises comme Dassault Aviation ou Airbus. Ces retards risquent d’entraîner une perte de compétitivité pour l’industrie de défense française sur les marchés internationaux.

Le secteur de la construction, déjà affaibli par une baisse de 7,5 % des mises en chantier en 2024, subit également un coup dur. La suppression du prêt à taux zéro pour les maisons individuelles, dont la reconduction était prévue dans le budget, pourrait aggraver la crise immobilière. Les professionnels du secteur s’inquiètent non seulement d’un ralentissement des ventes, mais aussi et surtout de nouvelles pertes d’emplois.

De même, les services aux collectivités locales, souvent financés par des contrats publics, font face à une instabilité accrue. Des entreprises comme Engie et Veolia, impliquées dans des projets de transition énergétique, pourraient donc être contraintes de revoir leurs ambitions en raison de cette nouvelle incertitude budgétaire.

Enfin, même si on ne la considère plus aujourd’hui comme un secteur stratégique, l’agriculture reste une activité cruciale pour l’économie française, ainsi que pour la souveraineté agro-alimentaire du pays. Or, la chute du gouvernement Barnier remet en question toutes les mesures d’allègements et de simplification que les agriculteurs avaient réussi à négocier pour tenter d’être compétitifs face à la pression de la mondialisation.

La crédibilité de la France face au reste du monde

Au-delà du monde industriel et agricole, la censure du gouvernement Barnier et l’échec à faire adopter le budget 2025 ont surtout fragilisé la position de la France sur la scène internationale. Ce nouveau dysfonctionnement politique est perçu comme un obstacle à la mise en œuvre des réformes structurelles nécessaires pour consolider les finances publiques.

En effet, Michel Barnier avait promis une réduction du déficit public autour de 5,5 % du PIB pour 2025, au lieu des 7 anticipés (rappelons que ce déficit est estimé à 4,8 % en 2024). Cet objectif est désormais compromis, et sans nouveau budget, la simple reconduction des dépenses de 2024 pour 2025 ne permettra pas d’atteindre le résultat escompté.

graphique de la dette publique de la france de 1995 à aujourd'hui

Avec une dette publique en augmentation constante, atteignant aujourd’hui 3 228,4 milliards d’euros, le coût du financement de l’État ne risque donc pas de diminuer l’année prochaine. En 2024, les paiements d’intérêts sur la dette représentaient déjà la troisième dépense publique après la sécurité sociale et l’éducation. Alors que l’Europe lutte pour maintenir sa compétitivité face aux États-Unis et à la Chine, cette incapacité chronique de la France à stabiliser ses finances publiques affaiblit sa propre position au sein de l’Union européenne. Les initiatives pour renforcer l’intégration économique de la zone euro, comme la mutualisation des dettes ou la réforme des règles budgétaires, pourraient également pâtir de cette situation.

De manière plus générale, la confiance des investisseurs étrangers à l’égard de la France est rudement mise à l’épreuve. Et ce nouvel épisode peu glorieux d’une démocratie à la dérive pourrait détourner de nombreux investissements vers des pays perçus comme plus stables, au sein même de l’Union européenne.

Quant aux agences de notation, elles ont rapidement réagi. Moody’s a qualifié l’événement de « négatif pour le crédit » de la France, avertissant que cette situation risque d’accroître les primes de risque et le coût de la dette. De leur côté, S&P et Scope Ratings ont souligné que l’incapacité à stabiliser les finances publiques pourrait compromettre la note souveraine de la France à moyen terme.

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Quelles solutions à court terme ?

Face à l’impossibilité de voter le budget, plusieurs dispositions légales existent.

Tout d’abord, une autorisation budgétaire minimale pourrait être mise en place, permettant de prélever les recettes et de continuer le fonctionnement de l’État dans la limite des dépenses déjà approuvées par le Parlement dans le budget précédent (par exemple, les salaires des fonctionnaires ou les engagements financiers déjà contractés). Cette solution ne peut évidemment être que transitoire et ne permet qu’une gestion au jour le jour en attendant le vote d’un nouveau budget..

Ensuite, si le Parlement ne s’est toujours pas mis d’accord sur une loi de finances dans un délai de 70 jours, le gouvernement peut utiliser l’article 47 de la Constitution pour mettre en vigueur son budget par ordonnance. Évidemment, si cette disposition permet d’assurer la continuité des finances publiques, elle a surtout pour effet de court-circuiter le débat parlementaire, ce qui peut exacerber les tensions entre le gouvernement et le Parlement.

Enfin, en cas d’absence totale d’autorisation budgétaire, certains médias ont avancé l’idée selon laquelle l’article 16 de la Constitution pourrait théoriquement être invoqué, donnant des pouvoirs exceptionnels au Président. Sauf que cette mesure est considérée comme ultime, uniquement valable lorsque les institutions sont menacées par une crise d’extrême gravité (guerre, coup d’État, etc.). Ce n’est donc pas ici une option crédible.

Ce qu’il faut retenir

  • L’Assemblée nationale a rejeté la loi de finances proposée par Michel Barnier et censuré son gouvernement, l’obligeant à démissionner.
  • Toute l’économie française se retrouve donc en suspens, avec des répercussions immédiates sur le budget, les finances publiques et les secteurs économiques clés.
  • Cette décision pourrait également entraîner une augmentation des impôts des particuliers comme des entreprises.
  • Ce nouvel épisode politique lié à l’impossibilité de réformer le pays fragilise la position de la France sur la scène internationale.
  • Les agences de notation envisagent une dégradation de la note du pays à moyen terme.
  • À court terme, des solutions institutionnelles existent pour assurer la continuité de l’État, mais elles ne peuvent être que transitoires.