En cette période particulièrement compliquée pour les entreprises qui cherchent à financer leurs investissements auprès de banques elles-mêmes en difficulté, il est parfois utile de sortir des sentiers battus pour convaincre les organismes de crédit de continuer à soutenir une activité. En Italie par exemple, certaines banques peuvent ainsi accorder des prêts garantis… par du fromage.
Le crédit de maturité
Cette pratique, particulièrement répandue dans la région de Parme où le fromage constitue une part importante de l’économie locale, est connue sous le nom de « crédit de maturité », et se base sur le système traditionnel de production et de vieillissement du parmesan. Le principe est simple : les producteurs de fromage qui souhaitent obtenir des crédits pour continuer à faire tourner leur entreprise en attendant de pouvoir encaisser le fruit de leur labeur — le fromage demande en effet plusieurs mois, voire plusieurs années d’affinage avant de pouvoir être vendu — stockent leurs meules de parmesan dans des entrepôts spéciaux appelés « Parmigiano Reggiano cheese banks ». Véritables coffres-forts pouvant accueillir plusieurs dizaines de milliers de belles meules dorées, ces entrepôts sont très réglementés et contrôlés par le Consortium du Parmigiano Reggiano qui garantit la qualité et l’authenticité du fromage.
Ces banques un peu spéciales évaluent ainsi la qualité du fromage, sa valeur marchande et sa traçabilité avant d’accorder les prêts en utilisant les meules de parmesan en guise de garantie. Par exemple, installée dans un complexe de haute sécurité entouré de barbelés, la banque Credito Emiliano, connue localement sous le nom de Credem, détient quelque 430 000 meules de Parmigiano-Reggiano fabriquées par les agriculteurs de la région. Quinze mille tonnes de parmesan sont ainsi rangées en pile d’une vingtaine de meules qui s’élèvent à près de 6 mètres du sol sur des centaines de mètres de rayonnage, et font l’objet d’une surveillance minutieuse de la part des employés de Credem qui nettoient, tournent, piquent et même goûtent régulièrement chaque meule pour s’assurer de la qualité irréprochable de leur investissement.
Valeur totale du trésor fromager de cette drôle de banque : environ 200 millions d’euros prêtés pour une durée de 18 à 36 mois, le temps que le précieux parmesan arrive à maturité et atteigne sa valeur optimale.Là, si le producteur n’a pas remboursé le prêt à l’échéance convenue, la banque peut alors vendre les meules de fromage pour son propre compte et récupérer son argent.
D’autres exemples de garanties bancaires insolites
Contrairement à ce qu’on pourrait penser, il existe de nombreuses formes de garanties utilisées par les banques à travers le monde pour accorder des prêts, et certaines sont pour le moins inhabituelles. Ainsi, hormis les financements accordés en échange de valeurs tangibles traditionnelles (métaux précieux, immobilier, valeurs mobilières…) sur lesquelles la banque obtient un droit provisoire en attendant le remboursement de l’emprunteur, on trouve des accords portant sur le nantissement de biens atypiques dans des contextes bien spécifiques ou culturellement pertinents.
Par exemple, dans certaines régions viticoles, notamment en France, les banques acceptent des garanties basées sur des stocks de vin de qualité comme garantie pour accorder des prêts aux viticulteurs. De la même façon, dans les régions où l’agriculture est une activité économique dominante, les banques peuvent accepter les récoltes à venir comme garantie pour financer les activités des exploitants. Enfin, dans l’industrie de l’élevage, non seulement de bétail mais aussi d’animaux de compagnie (chiens de race par exemple), certaines bêtes peuvent être utilisées comme garantie pour obtenir des prêts.
Dans un registre plus exclusif, des propriétaires d’œuvres d’art peuvent les mettre en gage pour obtenir des liquidités de la part de certaines banques spécialisées dans le financement des activités artistiques. Idem pour les bijoux de valeur, les diamants et autres pierres précieuses qui peuvent être utilisés comme garantie par des banques qui se chargent d’évaluer leur qualité, leur authenticité et leur valeur marchande avant d’accorder un prêt à leur détenteur.
Enfin, certains milliardaires comme Elon Musk ou Jeff Bezos, dont la fortune est presque exclusivement constituée d’actions de leur propre société, et qui ne se versent aucun salaire véritable ou presque, financent leur train de vie grâce à des prêts permanents accordés par des banques en fonction de la valeur des actifs à leur nom qui servent alors de garantie.
Tous ces exemples illustrent comment les banques peuvent adapter leurs pratiques en fonction des industries et des contextes locaux, mais il faut garder à l’esprit que ces pratiques restent exceptionnelles, à la fois limitées à des cas spécifiques et à des personnes bien particulières. Inutile donc d’espérer pouvoir gager votre stock de conserves artisanales pour obtenir un crédit auprès de votre banque ; dans l’écrasante majorité des cas, des biens immobiliers, une épargne conséquente et surtout la certitude d’un revenu régulier, durable et suffisant, restent les seules garanties acceptées par les banques pour, éventuellement (!) accorder un prêt.
Auteur et consultant depuis plus de vingt ans dans le domaine de la communication stratégique, il a plusieurs fois travaillé pour le compte d'entreprises financières dont il décrypte aujourd'hui les coulisses et les mécanismes économiques de base à l'intention du plus grand nombre.