Début mars 2021, on apprenait qu’Orange Bank, la plus grosse banque en ligne française, ne pouvait plus assumer les pertes abyssales cumulées depuis son lancement en 2017. Certains y voient déjà la preuve de l’échec du modèle économique des néobanques. Mais qu’en est-il en réalité ?
Une stratégie de développement très coûteuse
Novembre 2017, Orange et Groupama décident de s’associer pour lancer un nouvel acteur majeur de la banque en ligne, ambitionnant alors de prendre le leadership d’un secteur jusque-là investi par une myriade de start-up plus ou moins reconnues. L’objectif de l’opérateur télécom et de l’assureur mutualiste est de prouver qu’on peut faire de la banque sans être né banquier et que l’avenir est aux nouvelles technologies. Certes, les premières fintech avaient déjà montré que c’était possible, mais jusqu’ici aucune n’avait réussi à imposer le modèle de la banque en ligne comme une alternative crédible à la banque traditionnelle.
Or, on a beau être un major de l’industrie tertiaire, lorsqu’on arrive un peu après tout le monde sur un nouveau terrain de jeu, il faut se battre pour faire sa place, à plus forte raison lorsque les autres, même s’ils sont plus petits, ont déjà eu le temps de se positionner sur certains secteurs spécifiques parmi les plus rentables : entreprises, grands comptes, gestion de crédits, etc. Dès lors, Orange bank n’a pas eu d’autre choix que de se livrer à une stratégie d’investissement de tous les instants, engageant toujours plus de capitaux dans la mise en place d’une future domination qu’elle souhaitait rapide.
Résultat : 825 000 clients en France, mais aussi 643 millions d’euros de pertes. Rien qu’en 2020, la société a dû être recapitalisée trois fois. De quoi justifier la décision des deux actionnaires principaux d’arrêter les frais. Il n’en fallait pas davantage pour que certains médias prédisent déjà la fin des néobanques, ou en tout cas glosent sur leur absence de viabilité, car si même un acteur comme Orange peut mordre la poussière, alors que penser des plus petits qui ne disposent pas des mêmes moyens ?
Sauf que rien n’est plus faux, et on peut même dire que la contre-performance malheureuse d’Orange bank, si on la déplore, vient justement confirmer les principes du néobanking.
Le néobanking n’est pas forcément à la portée des plus gros acteurs
Depuis une quinzaine d’années, la banque à l’ancienne n’inspire plus confiance. Plus seulement sur ses aspects capitalistes qui ont toujours alimenté les fantasmes d’une partie de la population, mais aussi et surtout quant à sa solidité. Les différentes crises qui se sont succédé depuis 2008 ont en effet montré que, derrière la façade de marbre séculaire, se cachait en réalité un gigantesque château de cartes susceptible de s’effondrer au premier courant d’air, pouvant emporter avec lui l’économie d’un pays et de ses habitants.
Sans pour autant donner une réponse à toutes les incertitudes, plusieurs acteurs d’un secteur naissant que l’on n’appelait pas encore la fintech ont alors décidé de bouleverser le marché en créant des banques 100% en ligne. L’idée de base, vertueuse, consistait à marier le meilleur de la finance avec la souplesse des technologies internet (et mobile) en pleine expansion, dans le but d’apporter au plus grand nombre les services bancaires essentiels en toute transparence, tout en promettant à la fois réactivité, adaptation, souplesse et réduction des coûts.
À ce jeu, l’agilité et la rapidité priment forcément sur la taille et si toutes les grandes enseignes bancaires ont désormais leur filiale digitale, c’est surtout parce qu’elles ont racheté de jeunes entreprises innovantes qui avaient su faire en quelques années ce qu’aucune grosse banque traditionnelle n’aurait pu faire en dix fois plus de temps.
En effet, la taille et l’inertie d’entreprises habituées à être au sommet de la chaîne alimentaire sur leur propre marché peuvent devenir de sérieux handicaps dès lors qu’il s’agit d’aller se battre en territoire inconnu, à plus forte raison si elles n’ont plus l’habitude du combat à armes égales. Et c’est encore plus difficile lorsque le terrain en question est déjà occupé par des pure players plus petits mais aussi plus mobiles, qui ont très souvent émergé en même temps que leur environnement, dont ils connaissent parfaitement les règles et auquel ils sont donc naturellement mieux adaptés.
Une stratégie d’investissement mal maîtrisée
Ceci étant dit, il ne nous appartient pas de juger de l’échec ou de la semi-réussite d’Orange Bank, mais on peut malgré tout en dégager quelques enseignements.
Tout d’abord, malgré les sommes considérables que les deux leaders Orange et Groupama ont pu mettre sur la table, ainsi que les moyens logistiques conséquents qui leur ont permis de déployer rapidement leur offre à grande échelle, ils n’ont visiblement pas su trouver leur point d’équilibre, chaque année apportant davantage de dépenses que de gains. Mais peut-on s’en étonner ? En matière d’entreprise, l’une des principales causes d’échec réside dans une stratégie d’expansion trop rapide, ne permettant pas aux bénéfices d’arriver suffisamment vite pour couvrir les dépenses d’investissement. On a beau être leader, cette règle s’applique universellement à toutes les entreprises.
À ce titre, un acteur plus modeste, ne disposant pas d’une surface financière quasi illimitée, aura souvent plus à cœur d’avancer petit à petit, au fur et à mesure de ses possibilités, consolidant à chaque pas les résultats acquis avant d’envisager une nouvelle étape dans son développement. C’est même une nécessité vitale sur un secteur aussi concurrentiel que le néobanking. Avec Orange et Groupama en support, Orange Bank a peut-être souffert d’un excès de confiance dans ses capacités à dépenser sans compter…
Multiplier les clients n’est pas un gage absolu de réussite
Plus surprenant, le cas d’Orange Bank prouve également que le nombre de clients ne fait pas tout. On le savait déjà avec toutes ces start-up des années 2000 dont le modèle économique reposait sur le gratuit ou quasi gratuit, et dont les noms ornent désormais le monument aux morts de la Nouvelle Économie. Mais là, on peut voir que, même en ayant des clients payants, on peut ne jamais être rentable. La faute aux dépenses trop importantes, on l’a dit plus haut, mais aussi sans doute au mauvais ciblage de sa clientèle.
Plus de 800 000 clients pour une néobanque, c’est bien, mais s’il s’agit de personnes à qui on se contente de proposer une offre similaire à la concurrence, ou pire, pour qui on déporte la lourdeur de la banque à l’ancienne vers le Net en faisant croire que c’est de l’innovation, ce n’est plus vraiment un avantage. Au contraire, on risque surtout de devoir supporter un coût d’infrastructure excessif sans espoir réel de retour sur investissement, à plus forte raison lorsque le seul argument de vente pertinent se résume à une tarification plus avantageuse.
Des fintech plus spécialisées qui réinventent la banque
En réalité, si certaines fintech réussissent là où des acteurs comme Orange Bank peinent à s’imposer, c’est sans doute parce qu’elles ont émergé à mesure que les besoins de leurs usagers évoluaient dans un cadre nouveau qui restait à inventer, le tout sur fond d’accélération technologique qu’elles ont intégrée dès le départ. Ensuite, leur stratégie a tout naturellement pris en compte les limites de leurs possibilités financières et humaines, les obligeant à arbitrer parmi leurs priorités. Celles qui ne se sont pas pliées à cet exercice ont de toute façon disparu.
Enfin, beaucoup de « petites » fintech ont bien compris que leur réussite ne passerait pas forcément par une diffusion généraliste de leur offre, et qu’il était souvent plus intéressant de se positionner sur un segment plus spécifique (services aux TPE, moyens de paiements alternatifs, épargne sécurisée, etc), quitte à avoir moins de clients mais être capable de leur proposer une offre spécialisée, bien construite, adaptée et originale. Par exemple, avec ses 30 000 clients et des résultats en progression constante, VeraCash est aujourd’hui totalement rentable et vise de nouveaux objectifs d’ores et déjà budgétés, en réponse directe aux demandes de ses propres clients.
D’autres fintech n’ont malheureusement pas la même chance et ne parviennent pas à sortir du rouge malgré un nombre de clients en constante augmentation, car leur niveau de dépenses croît plus vite encore. Toutefois, cela ne remet pas en cause le modèle du néobanking, cela prouve simplement qu’il s’agit d’un système réellement nouveau, qui ne se contente pas de moderniser le modèle traditionnel mais qui, au contraire, l’abandonne en grande partie pour inventer la banque de demain.
Auteur et consultant depuis plus de vingt ans dans le domaine de la communication stratégique, il a plusieurs fois travaillé pour le compte d'entreprises financières dont il décrypte aujourd'hui les coulisses et les mécanismes économiques de base à l'intention du plus grand nombre.