Après avoir frôlé la catastrophe il y a quinze ans et perdu, non seulement des milliards de dollars, mais aussi la confiance des usagers et des marchés, force est de constater que les banques sont aujourd’hui au sommet de leur forme. Une situation qui incite à s’interroger sur les dessous de cette incroyable résilience, ainsi que sur la façon dont certains de ces mastodontes qu’on pensait perdus ont su se relever, se renforcer et s’enrichir à une vitesse stupéfiante.
Ce qu’il faut retenir
- La crise de 2008 a failli causer la fin de la finance traditionnelle et a fait perdre près de 1000 milliards de dollars aux banques les plus exposées.
- Pour survivre, les banques ont nécessité une forte intervention publique, mais elles ont également dû se réinventer et innover dans un environnement réglementaire de plus en plus strict.
- En misant sur les acquisitions et les fusions, les principales banques sont parvenues à devenir trop importantes pour que les pouvoirs publics prennent le risque de ne pas les sauver en cas de nouvelles menaces.
- La renaissance des banques après 2008, mais aussi leur formidable croissance et leur enrichissement rapide sont également les résultats du travail de certaines personnalités emblématiques dont les qualités professionnelles indéniables ne parviennent pas toujours à masquer les pratiques souvent impitoyables ainsi que le manque de considération pour les conséquences sociales de leurs décisions.
- Entre 2013 et 2023, les six principales banques américaines ont à elles seules cumulé plus de 1000 milliards de profits, soit suffisamment pour rembourser l’aide publique qui a sauvé le secteur ainsi que les pertes de millions d’épargnants ou d’actionnaires. Une éventualité qui a peu de chances d’arriver, tandis que les banques du monde entier continuent de s’enrichir à une vitesse plus rapide que tous les autres marchés.
2008, l’année où les banques ont failli disparaître
La crise financière de 2008 a été un séisme mondial, ébranlant les fondements mêmes du système économique international. On se souvient encore de ces images qui tournaient en boucle sur les chaînes d’infos, montrant tantôt des files d’épargnants anxieux devant des guichets automatiques de retrait de billets, tantôt des cohortes d’employés de banques quittant pour la dernière fois leurs bureaux avec leurs affaires personnelles dans un petit carton.
À l’époque, beaucoup ne donnaient pas cher de l’avenir du système bancaire tel qu’ils se présentaient alors, et même les plus grosses enseignes étaient menacées de fermer purement et simplement. Pourtant, 15 ans après cette période pour le moins tumultueuse, toutes les banques ou presque ont non seulement survécu, mais elles ont littéralement prospéré, au point d’afficher aujourd’hui des résultats records et une accumulation de richesses qui dépassent de loin celles de la plupart des autres secteurs d’activité.
On peut donc se poser la question : comment les institutions financières traditionnelles, et plus particulièrement les banques commerciales jadis au bord du gouffre (près de 1000 milliards de dollars de pertes !), ont-elles réussi à devenir les véritables géants de la finance qu’on connaît aujourd’hui ? À plus forte raison sans donner véritablement l’impression d’avoir changé leurs méthodes, alors que le reste du monde, quant à lui, a considérablement évolué, y compris dans le domaine des fintech.
Les banques ont dû se réinventer
Après la tourmente de 2008, le monde a observé avec scepticisme les premiers pas hésitants des banques sur le chemin de la récupération. Les plans de sauvetage gouvernementaux, les injections massives de liquidités et les politiques d’assouplissement monétaire ont servi de béquilles à un secteur bancaire convalescent. Mais ce qui a commencé comme une aide d’urgence — au grand dam des contribuables qui ont eu l’impression de payer pour les abus dont ils ont été les premières victimes — s’est transformé en une opportunité de renaissance pour les banques.
On a d’abord vu s’établir tout un arsenal de nouvelles réglementations, telles que les accords de Bâle III, qui imposaient des exigences plus strictes en matière de fonds propres et de liquidités. En réponse, les banques ont affiné leurs modèles d’affaires, se délestant des actifs non essentiels pour mieux renforcer leurs bilans. Elles ont également diversifié leurs sources de revenus, se tournant vers des activités moins risquées et plus stables, comme la gestion de patrimoine, les services bancaires aux entreprises… et même la téléphonie mobile !
L’évolution des réglementations a d’ailleurs joué un rôle paradoxal. D’une part, elle a imposé des contraintes plus sévères, mais d’autre part, elle a encouragé les banques à innover pour rester compétitives.
De leur côté, de nouvelles entreprises totalement basées sur la technologie ont profité de la faiblesse du marché traditionnel pour faire valoir leurs avantages mais aussi pour jouer la carte de la vertu. Parfois avec raison, parfois en ne faisant guère mieux que leurs grandes soeurs. Les fintech (nom que l’on donne désormais à ces entreprises de la “finance numérique”) sont apparues alors comme un domaine clé d’innovation. Non seulement pour les usagers, mais aussi pour les banques elles-mêmes dont les plus dynamiques ont vite compris l’intérêt d’adopter rapidement ces technologies afin de réduire leurs coûts, d’améliorer l’expérience client et d’accéder à de nouveaux marchés. Les applications mobiles, les paiements sans contact et les plateformes de trading en ligne sont devenus la norme, ouvrant la voie à une vraie banque du XXIe siècle..
Mais les banques ne se sont pas contentées d’adopter les nouvelles technologies pour retrouver des leviers de croissance. Elles ont également mis en place une véritable stratégie de (re)conquête, à travers des fusions et des acquisitions qui ont permis aux plus gros acteurs d’accroître leur pouvoir sur le marché en éliminant la concurrence. Les grandes banques sont devenues encore plus grandes (la réserve de liquidité de BNP Paribas, c’est-à-dire la trésorerie instantanément mobilisable de cette seule et unique banque, s’élève aujourd’hui à 473 milliards d’euros), et leur influence sur l’économie mondiale s’est accrue de manière exponentielle.
Un seul objectif : devenir “too big to fail”
Puisqu’on parlait plus haut d’innovation, beaucoup de banques ont surpris les observateurs par une ingéniosité mais aussi une audace dont on ne les pensait pas capables. Habituées à privilégier la prudence, elles ont dû apprendre à composer avec le risque pour capitaliser sur les nouvelles opportunités du marché.
On l’a dit, la diversification des services et des marchés a été une première étape clé. Les banques ont ainsi élargi leur gamme de produits en offrant à peu près tout ce qui pouvait rapporter, des assurances aux prêts hypothécaires, en passant par les produits dérivés complexes et les produits de placement atypiques. Elles ont également étendu leur empreinte géographique, s’imposant sur les marchés émergents où la demande pour les services financiers connaissait une croissance rapide. Quitte à changer radicalement de modèle pour s’adapter aux caractéristiques des nouvelles terres conquises (rappelons que la banque sur mobile a d’abord été massivement adoptée dans certains pays d’Afrique ou d’Asie, avant de s’imposer plus largement aux Etats-Unis ou en Europe). Cette expansion a permis de répartir les risques et d’exploiter de nouvelles sources de revenus.
De la même façon, les banques qui ont investi dans les fintechs ont pu automatiser de nombreux services, réduisant ainsi les coûts et augmentant l’efficacité. La blockchain, que les institutions financières classiques avaient un peu trop rapidement reléguée au rang de gadget pour pseudo-monnaie numérique, a finalement offert des moyens innovants de sécuriser les transactions et de réduire la fraude. Enfin, même s’ils sont devenus la bête noire des professionnels de l’investissement boursier, et bien que cette pratique ait suscité des débats éthiques intenses, les algorithmes de trading haute fréquence ont permis aux banques de réaliser des profits considérables sur des marchés ultra-volatils.
Quant aux fusions et acquisitions, elles ont contribué à faire émerger la notion de “Too Big To Fail”, un concept qui était jusqu’ici plutôt théorique, mais qui est devenu une véritable préoccupation à la fois politique et économique, exposant désormais le monde à un risque systémique accru contre lequel les gouvernements et les organismes supranationaux sont prêts à lutter sans plus aucune limite.
Et c’est un grave problème, à la fois éthique et financier, car on sait aujourd’hui que la croissance des banques s’est aussi jouée sur des pratiques de prêts agressives, une recherche incessante de profits à court terme au détriment de la stabilité économique à long terme (contribuant au passage à une inégalité croissante), ce qui a souvent conduit à des excès et à des abus, comme l’ont révélé les nombreux scandales financiers de ces dernières années.
Toute la difficulté réside alors dans l’éventualité de devoir justifier le sauvetage d’une énorme banque subitement menacée de faire faillite après s’être rendue coupable de malversations. Un sauvetage réalisé bien évidemment avec de l’argent public…
Ces stratèges qui ont façonné le paysage financier actuel
Quoi qu’il en soit, vertueuse ou douteuse, la réussite des banques est aujourd’hui une réalité. Et au cœur de ce renouveau bancaire on trouve des personnalités dont les décisions et les visions ont eu un impact indélébile sur le secteur. Ces leaders, parfois controversés, ont souvent été les architectes ou les catalyseurs des stratégies de croissance qui ont propulsé leurs institutions vers des sommets financiers.
Ainsi, des noms comme Jamie Dimon de JPMorgan Chase et Lloyd Blankfein de Goldman Sachs sont devenus synonymes de succès dans le milieu de la finance. Sous leur direction, leurs banques n’ont pas seulement survécu à la crise, elles ont atteint des sommets inédits jusqu’alors. Reconnus pour leur grande connaissance des marchés, ces dirigeants ont été également loués pour leur capacité à naviguer dans des eaux réglementaires complexes et à capitaliser sur les technologies émergentes.
Cependant, dès qu’on analyse un peu plus finement leur contribution à la croissance des banques, on voit se dessiner une image un peu plus nuancée. Par exemple, leurs stratégies, bien que profitables, ont souvent été critiquées pour leur approche impitoyable et leur manque de considération pour les conséquences sociales de leurs décisions. Sans parler d’erreurs tactiques grossières qui ont parfois lourdement pénalisé leurs entreprises.
Par exemple, en 2012, dans l’affaire dite des « Baleines de Londres », JPMorgan Chase a subi des pertes de trading massives, estimées à plus de 6 milliards de dollars, dues à des paris risqués sur des produits dérivés. Cette affaire a mis en lumière les pratiques de trading à haut risque de la banque, mais a surtout soulevé des questions sur la supervision et la gestion des risques de Jamie Dimon. Celui-ci a été interrogé par le Congrès américain et a admis “des erreurs de gestion”.
De la même façon, l’année suivante, JPMorgan Chase a accepté de payer 13 milliards de dollars pour solder des accusations de ventes de titres hypothécaires toxiques, encore une fois sous la direction de Jamie Dimon. Ce règlement “à l’amiable” est d’ailleurs le plus important de l’histoire pour une seule et même entreprise. Mais la banque et son président emblématique souhaitaient surtout éviter la médiatisation de leurs pratiques douteuses en matière de produits financiers risqués.
Quant à Lloyd Blankfein, de chez Goldman Sachs, il n’est pas en reste puisque dès 2010, le gendarme des marchés financiers américains, la SEC (Securities and Exchange Commission) a estimé qu’il était responsable d’une opération frauduleuse de sa banque, laquelle avait commercialisé un produit financier, le CDO Abacus, en “oubliant” d’informer les investisseurs sur les risques de conflits d’intérêts. Là encore la banque a accepté de payer une amende de 550 millions de dollars, la plus grande pénalité jamais imposée à une banque d’investissement pour fraude. Blankfein a quant à lui été critiqué pour son rôle dans la culture d’entreprise qui a permis ces pratiques. Une culture d’entreprise qu’il maîtrisait parfaitement puisqu’on lui doit aussi d’avoir permis à la Grèce de masquer l’étendue de sa dette en utilisant des instruments financiers complexes, contribuant ainsi à la crise de la dette souveraine en Europe au début des années 2010.
Soyons honnêtes, ils sont loin d’être les seuls à avoir profité de leur position. Et leurs pratiques controversées ne diffèrent pas beaucoup de celles des autres personnalités marquantes du secteur, qui ne font probablement rien d’autre que ce qu’on leur a demandé de faire une fois à leur poste. D’ailleurs, en plus de susciter l’indignation publique, les bonus exorbitants et les parachutes dorés sont souvent cités comme des exemples d’un système qui récompense excessivement les hauts dirigeants au détriment des petits épargnants et des contribuables, y compris (et curieusement !) quand les dirigeants en question ont été au centre de controverses majeures.
2013-2023, la décennie de tous les records
C’est Bloomberg qui le révélait il y a quelques mois à peine : les six plus grandes banques américaines ont cumulé plus de 1000 milliards de dollars de profits en une décennie. Oui, on parle bien de profits.
Curieusement, cela correspond à ce que la crise de 2008 avait justement fait perdre au secteur, et donc en partie aux actionnaires, aux épargnants… et aux contribuables puisque ce sont finalement les deniers publics qui ont été appelés à la rescousse pour sauver toutes ces banques imprudentes. On peut d’ailleurs supposer que les gains cumulés de TOUTES les grandes banques du monde qui ont été aidées par les gouvernements dépassent largement le montant de cette aide qui fut bienvenue en son temps. Et dont on pourrait raisonnablement songer à demander le remboursement. Mais visiblement, cette éventualité n’est pas à l’ordre du jour.
Quoi qu’il en soit, voici la capitalisation boursière en milliards de dollars des plus grosses banques du monde en 2023 :
JP Morgan Chase | 396,40 |
Bank of America | 270,70 |
ICBC | 218,60 |
China Merchants Bank | 178,40 |
Wells Fargo | 168,40 |
China Construction Bank | 165,40 |
Morgan Stanley | 161,20 |
Agricultural Bank of China | 148,40 |
HSBC Holdings | 147,10 |
Royal Bank of Canada | 139,20 |
Bank of China | 131,80 |
Commonwealth Bank of Australia | 127,70 |
Toronto-Dominion Bank | 121,40 |
Goldman Sachs | 114,50 |
Citigroup | 99,00 |
Mitsubishi UFJ Financial Group | 94,20 |
BNP Paribas | 80,00 |
U.S. Bancorp | 71,10 |
Bank of Montreal | 69,50 |
National Australia Bank | 69,40 |
source : BanksDaily.com
À noter que la capitalisation ne correspond pas à la “richesse” des banques en question. Par exemple, BNP Paribas est valorisée 80 milliards de dollars sur les marchés financiers alors qu’on a vu plus haut qu’elle dispose de réserves environ 6 fois supérieures. Cette valorisation reflète plutôt la confiance accordée par les investisseurs.
Par exemple, pour rester sur BNP Paribas, sa capitalisation boursière au 31 décembre 2008 était de 27 milliards d’euros. Ce qui veut dire que la valeur de la banque a été multipliée par 3 entre 2008 et 2013, alors que le CAC 40 a quant à lui “simplement” doublé de valeur sur la même période.
Autant dire que, sauf crise majeure mettant définitivement toute la finance hors circuit, il y a peu de risques que les banques arrêtent un jour de s’enrichir, même soumises à des turbulences pouvant faire croire à leur fin prochaine.
Auteur et consultant depuis plus de vingt ans dans le domaine de la communication stratégique, il a plusieurs fois travaillé pour le compte d'entreprises financières dont il décrypte aujourd'hui les coulisses et les mécanismes économiques de base à l'intention du plus grand nombre.