Jusqu’ici, les banques ont su tirer profit de toutes les crises pour renforcer leur emprise. Et tant que l’argent est au rendez-vous, rien ne semble pouvoir freiner leur ascension. Mais jusqu’à quand ?

2008 : l’année où les banques ont failli disparaître

2008 : une année gravée dans la mémoire des marchés financiers et des épargnants du monde entier. La crise bancaire a frappé comme un séisme, ébranlant les plus grandes institutions et révélant l’ampleur des dérives du système financier.

On se souvient tous des images diffusées en boucle : des files interminables de clients paniqués devant les agences bancaires, des traders hagards devant des écrans rouges de pertes abyssales, et des employés licenciés quittant leur bureau, un carton sous le bras, dans un silence pesant.

En l’espace de quelques mois, près de 1 000 milliards de dollars se sont volatilisés, engloutis par des placements toxiques, des effets de levier incontrôlés et une spéculation sans garde-fou. Le monde a assisté, impuissant, à la chute d’institutions historiques : Lehman Brothers en faillite, Merrill Lynch rachetée in extremis, AIG renflouée à coups de milliards par le gouvernement américain.

À l’époque, on prédisait un effondrement complet du système bancaire tel qu’on le connaissait. Le choc était si violent que même les États, d’ordinaire impassibles face aux dérives de la finance, ont dû intervenir en catastrophe pour éviter un effondrement total. Les banques centrales ont injecté des liquidités à une échelle jamais vue, et les gouvernements ont mis en place des plans de sauvetage massifs, au grand dam des contribuables, sommés de payer pour des excès dont ils n’étaient pas responsables. Au total la facture s’est élevée à plus de 4000 milliards de dollars !

Et pourtant, quinze ans plus tard, les banques sont plus riches que jamais. Non seulement elles ont survécu, mais elles ont prospéré. Des mastodontes qu’on croyait condamnés sont devenus plus puissants encore, affichant des bilans records et une influence qui dépasse largement le secteur financier.

Alors, comment ces institutions, qui ont un temps vacillé au bord du gouffre, sont-elles parvenues à se relever aussi vite ? Plus troublant encore, comment ont-elles réussi à retrouver leur domination sans véritablement changer leur modèle économique, alors que le reste du monde s’adaptait à de nouvelles réalités ?

Un sauvetage orchestré… et un retour en force

En 2008, face à l’ampleur du désastre, les États n’avaient pas vraiment le choix : les banques devaient être sauvées à tout prix. Les gouvernements ont donc débloqué des centaines de milliards d’euros et de dollars pour éviter un effondrement du système financier mondial.

En Europe, la Banque centrale européenne (BCE) a assoupli ses règles monétaires et multiplié les rachats de dettes. Aux États-Unis, la Réserve fédérale (Fed) a mis en place un programme d’achats d’actifs sans précédent. En clair, les banques ont bénéficié de liquidités massives à des taux proches de zéro, voire négatifs, dans certains cas.

Le plus étonnant ? Ce renflouement n’est pas resté un simple épisode de crise. Il a posé les bases d’un nouveau paradigme financier où les banques ont appris à vivre sous perfusion monétaire, tout en maximisant leurs profits.

Un système devenu encore plus favorable aux banques

Dès 2010, on aurait pu s’attendre à un durcissement des règles bancaires. Après tout, la crise avait révélé les abus du crédit facile, la folie spéculative et l’ingénierie financière incontrôlée. Mais dans les faits, les grandes réformes promises ont été largement édulcorées.

  • Les règles prudentielles ont certes été renforcées (Bâle III, MIFID II, etc.), mais pas au point d’empêcher les banques de continuer à spéculer.
  • Les taux d’intérêt sont restés extrêmement bas pendant plus d’une décennie, ce qui a permis aux banques de continuer à emprunter à moindre coût tout en prêtant à des taux bien plus élevés.
  • La création monétaire massive a gonflé la valorisation des actifs financiers (immobilier, actions, obligations), un terrain de jeu idéal pour les banques d’investissement.

Autrement dit, le système financier post-2008 est devenu encore plus profitable aux banques qu’avant la crise. Elles ont retrouvé leur rentabilité en un temps record, tout en reportant sur les États et les contribuables le poids de leur survie.

Et si la prochaine crise était déjà en marche ?

Aujourd’hui, l’environnement a radicalement changé. L’ère de l’argent facile touche à sa fin. Les banques centrales ont relevé leurs taux d’intérêt pour contrer l’inflation, rendant le crédit plus cher et mettant la pression sur les emprunteurs.

En 2023 et 2024, les faillites d’entreprises se sont multipliées, et les risques bancaires refont surface. Les tensions sur le marché obligataire, la volatilité des marchés financiers et la fragilité de certains établissements rappellent étrangement l’avant-crise de 2008.

La question est donc la suivante : les banques, si puissantes aujourd’hui, sont-elles réellement à l’abri d’une nouvelle tempête financière ? Ou bien assistons-nous une fois de plus à une bulle qui finira par exploser… et dont la facture retombera une fois encore sur le reste de la société ?

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Les banques, plus rentables que jamais

Depuis 2008, les banques ont non seulement survécu, mais elles affichent aujourd’hui des bénéfices records. Loin de payer le prix de leurs erreurs passées, elles ont su transformer la crise en opportunité et maximiser leurs profits dans un environnement ultra-favorable.

Des bénéfices historiques pour les grandes banques

Prenons quelques chiffres récents pour mesurer cette ascension fulgurante :

  • En 2023, dernière année dont on a pu compiler les chiffres, les principales banques françaises ont dégagé plus de 37 milliards d’euros de bénéfices nets cumulés (BNP Paribas, Crédit Agricole, BPCE).
  • À l’échelle mondiale, JP Morgan a réalisé un bénéfice record de 49,6 milliards de dollars en 2023, tandis que Goldman Sachs et Bank of America ont engrangé respectivement 12 et 26 milliards.
  • Les banques centrales, en relevant les taux d’intérêt en 2022 et 2023, ont involontairement renforcé la rentabilité des banques commerciales, qui prêtent aujourd’hui à des taux bien plus élevés tout en bénéficiant encore de certaines liquidités à bas coût.

Mécaniquement, plus l’argent devient cher, plus les banques gagnent d’argent sur les crédits. Et en période de ralentissement économique, elles facturent aussi plus de frais bancaires, ce qui compense le léger ralentissement du volume d’emprunts.

Des clients captifs et une rentabilité garantie

Le modèle économique des banques repose sur un principe simple : faire en sorte d’être indispensables pour tous les actes de la vie. Aujourd’hui, presque tout passe par elles :

  • Les crédits, bien sûr, qu’il s’agisse de prêts immobiliers, de consommation ou d’entreprise.
  • Les paiements et la gestion des flux financiers, où les banques prélèvent des frais sur presque toutes les transactions.
  • La gestion d’actifs et d’épargne, avec des marges confortables sur les produits financiers qu’elles vendent.

Autrement dit, les banques sont incontournables et elles le savent. Ce qui leur permet d’imposer leurs conditions aux clients, d’augmenter discrètement certains frais, et de maximiser leur rentabilité sans réel danger de concurrence.

Et même lorsqu’une banque est en difficulté, elle peut généralement compter sur un renflouement étatique (ou, plus subtilement, sur un rachat orchestré par une banque plus solide).

Les risques à venir : une situation aussi solide qu’elle en a l’air ?

Malgré ces chiffres spectaculaires, certaines ombres planent sur le secteur bancaire :

  • Le retour du risque de défaut des emprunteurs, notamment avec l’augmentation des taux d’intérêt qui fragilise les ménages et les entreprises endettés.
  • La montée en puissance des fintechs, qui grignotent progressivement des parts de marché en proposant des services plus transparents et moins coûteux.
  • Les tensions géopolitiques et les risques économiques mondiaux, qui pourraient déstabiliser les marchés financiers et donc l’ensemble du système bancaire.

Si les banques ont appris à tirer profit de toutes les crises jusqu’ici, rien ne garantit que le prochain choc économique leur sera aussi favorable.


Bruno GONZALVEZ

Auteur et consultant depuis plus de vingt ans dans le domaine de la communication stratégique, il a plusieurs fois travaillé pour le compte d'entreprises financières dont il décrypte aujourd'hui les coulisses et les mécanismes économiques de base à l'intention du plus grand nombre.