Depuis quelques mois, les néo-banques françaises font face à l’impossibilité de rentabiliser leur fonctionnement, alors même que leur modèle économique presque entièrement virtualisé était censé leur assurer une profitabilité intrinsèque. Un échec quasi-général dans lequel on pourrait voir l’un des premiers signes d’une faillite générale de tout le secteur bancaire.



Néo-banques : seules les plus grosses s’en sortent

Nées au tournant des années 2000, les banques en ligne, appelées par la suite néo-banques pour les distinguer des applications internet et mobiles développées depuis par toutes les grandes enseignes bancaires, vivent actuellement une crise sans précédent. Certaines d’entre elles — et pas des moindres puisqu’on parle notamment d’Orange Bank ou de Ma French Bank détenue par la Poste — vont d’ailleurs tout simplement fermer pour n’avoir pas su être rentables.

Quant aux autres néo-banques, même si elles restent pour le moment toujours actives, l’écrasante majorité ne parvient pas à afficher de bilan positif.

Seules deux banques en ligne arrivent encore à tirer leur épingle du jeu : Fortuneo et BoursoBank (anciennement Boursorama). Mais ce n’est pas un hasard non plus.

En effet, contrairement à toutes leurs concurrentes qui plafonnent à quelques centaines de milliers d’utilisateurs au maximum, ces deux entités affichent respectivement 1 million et 5 millions de clients. Il faut croire qu’en dépit de coûts de structure abaissés au maximum (pas d’agences et une couverture nationale avec des effectifs 100 fois inférieurs aux banques classiques), un nombre minimum de clients reste tout de même nécessaire pour gagner de l’argent.

Des liens étroits avec la banque traditionnelle

Pour autant, ces néo-banques ne sont pas totalement déconnectées du réseau bancaire traditionnel. Au contraire, elles ont toutes été rachetées par des enseignes historiques. On peut citer par exemple la BNP qui possède Hello Bank et Nickel, le Crédit Agricole qui détient BforBank, le Crédit Mutuel qui a racheté Fortuneo et Monabanq, ou encore la SG qui possède Boursorama.

A l’origine le projet des grandes banques de détail était, non seulement, d’étouffer une concurrence qui les effrayait un peu dans un secteur nouveau qu’elles maîtrisaient mal, mais aussi de récupérer les millions de clients qui avaient commencé à migrer hors du système traditionnel et qui échappaient donc progressivement à l’hégémonie pluricentenaire de la “banque à papa”.

L’ennui, c’est que très vite, la réalité économique a rattrapé les belles promesses de nouveau paradigme : soumises à des réglementations de plus en plus en plus restrictives et à des normes dont l’application se révèle particulièrement coûteuses, les néo-banques ont vite montré leurs limites en termes de rentabilité.

D’autant que la plupart d’entre elles avaient misé sur la gratuité d’un grand nombre de services afin de « disrupter » le modèle classique et attirer beaucoup de monde très vite. Trop vite peut-être, pour certaines qui n’ont pas forcément eu le temps ou les moyens de grossir en conséquence.

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Des néo-banques rarement rentables

Aujourd’hui, la plupart des banques traditionnelles disposent de leur propre outil en ligne ; le maintien d’une activité connexe de néo-banque aux services “low-cost” se justifie donc de moins en moins. Surtout que ces banques ont elles aussi entamé leur restructuration sur fond de réduction des coûts, en fermant de plus en plus d’agences de proximité notamment.

Alors quand ces néo-banques se révèlent incapables de gagner de l’argent, il devient compliqué de justifier leur continuité.

C’est pourquoi La Banque Postale a décidé de fermer Ma French Bank. C’est ce qui incite la SG à se débarrasser de Shine. C’est aussi la raison pour laquelle INGDirect et N26 ont décidé d’arrêter leurs activités en France il y a environ deux ans. Et, même si Orange n’est pas une banque, la décision de l’opérateur télécom de fermer Orange Bank découle du même constat : ce n’est pas rentable.

Car toutes ces fintech perdent de l’argent en réalité. Ma French Bank a ainsi cumulé 255 millions d’euros de pertes nettes en cinq ans, de 2018 à 2022. Shine, c’est 4 millions d’euros de pertes sur la seule année 2019, la dernière où l’entreprise a publié ses chiffres, ce qui laisse imaginer que les trois ou quatre suivantes n’ont pas été bien meilleures. Pour Orange Bank, on passe à un tout autre niveau, avec plus d’un milliard d’euros de pertes (1,09 milliard précisément) en 2022. Et ainsi de suite.

Un climat bancaire globalement négatif

Le pire, c’est que toutes ces mauvaises nouvelles interviennent dans un climat déjà très tendu pour le secteur bancaire en général. En effet, il y a deux semaines, les institutions européennes chargées de la surveillance et de la supervision des banques de l’Union appelaient le secteur à “se préparer à des risques inattendus” en raison de l’instabilité géopolitique du moment.

Claudia Buch, la présidente du Conseil de surveillance de la BCE a en outre expliqué que les tensions militaires n’étaient pas les seules sources d’inquiétudes auxquelles les banques devraient être sensibilisées, mais également à tous les risques macroéconomiques liés au climat et à l’environnement, à l’évolution très incertaine des taux d’intérêt, aux projections de croissance nettement révisées à la baisse, ainsi qu’aux cyberattaques de plus en plus fréquentes et dévastatrices.

Bref, une sorte d’annonce polie d’apocalypse dont les banques n’avaient pas vraiment besoin pour appréhender sereinement l’avenir et jouer pleinement leur rôle de facilitateur dans l’économie réelle. Après avoir perdu beaucoup d’argent pendant plus d’une décennie de taux bas, elles rechignent déjà à accorder des crédits, soucieuses avant tout de reconstituer leurs fonds de réserves. Alors quand la Banque centrale européenne, qui vient elle-même d’annoncer ses premières pertes financières en vingt ans, leur explique que le pire est peut-être à venir, il est légitime de se demander si les fermetures des néo-banques ne sont le signe avant-coureur d’une éventuelle faillite générale du secteur bancaire tout entier.

Des fintechs spécialisées au lieu de néo-banques

Quoi qu’il en soit, ce qu’on peut objectivement déduire des difficultés rencontrées par les néo-banques citées plus haut, c’est qu’il est très difficile, pour ne pas dire impossible, de vouloir remplacer les banques traditionnelles sur l’ensemble de leurs services.

Au contraire, il semble plus judicieux de se concentrer sur certains aspects de la mécanique financière sur lesquels une plus petite structure extrêmement spécialisée pourrait apporter une forte valeur ajoutée. C’est en particulier ce qu’il se passe pour les applications de paiement débancarisées, dont la force réside dans l’optimisation et la facilité du procédé, grâce à la technologie mobile couplée à la flexibilité de petites fintechs agiles.

Par exemple, Veracash a su très vite trouver à la fois son public et son modèle économique optimal, qui lui permettent d’être à l’équilibre depuis quelques années.

Ce qu’il faut retenir :

  • On annonce la prochaine fermeture des néo-banques Orange Bank et Ma French Bank détenue par la Poste.
  • La plupart des néo-banques ont été rachetées par des acteurs historiques qui ont voulu maîtriser la concurrence et saisir une opportunité.
  • Mais les néo-banques se sont presque toutes révélées incapables d’atteindre la rentabilité.
  • Plusieurs néo-banques qui accumulaient de lourdes pertes ont déjà fermé ces derniers temps.
  • Ces fermetures interviennent dans un climat bancaire plutôt tendu au niveau européen.
  • Des fintechs spécialisées sont plus pertinentes que des néo-banques qui cherchent à copier tout ou partie des activités de banque traditionnelle.

Bruno GONZALVEZ

Auteur et consultant depuis plus de vingt ans dans le domaine de la communication stratégique, il a plusieurs fois travaillé pour le compte d'entreprises financières dont il décrypte aujourd'hui les coulisses et les mécanismes économiques de base à l'intention du plus grand nombre.