Lourdement endetté et aux prises avec plusieurs scandales de maltraitance, le groupe Orpéa spécialisé dans la gestion de maisons de retraites va passer sous contrôle de l’Etat à travers une prise de participation majoritaire de la Caisse des Dépôts et Consignations (CDC) qui devrait investir 1,2 milliard d’euros dans le sauvetage de l’entreprise. Au-delà de son aspect médiatique et en partie controversé, cette nouvelle opération vient aussi et surtout braquer les projecteurs sur l’une des institutions financières les plus mal connues en France, alors qu’elle est sans doute la plus impliquée dans le développement économique et social du pays.
La CDC, un organisme qui a su traverser les siècles
Instaurée en 1816, dans une période troublée qui voyait la France hésiter entre la restauration de la monarchie et les derniers sursauts de l’Empire, la Caisse des Dépôts et Consignations avait pour premier objectif de faciliter le financement à court terme de l’Etat. En effet, le roi Louis XVIII, alors fraîchement rétabli sur un trône des plus instables après une tentative ratée de Napoléon Ier de reprendre le pouvoir, se voit contraint de multiplier les emprunts pour résorber l’énorme dette publique accumulée depuis la Révolution.
Oui, emprunter pour réduire sa dette, ça ne date pas d’hier…
L’ennui, c’est que la Banque de France est encore très attachée au souvenir de l’Empereur, qui l’a créée en 1800 alors qu’il n’était encore que Premier Consul, et elle ne fait rien pour faciliter la tâche du nouveau représentant des Bourbons. Par exemple, elle a fixé son taux d’intérêt à 8%, ce qui est juste exorbitant pour un siècle connu pour son absence quasi-totale d’inflation à long terme.
Sous l’influence de son ministre des Finances, Louis-Emmanuel Corvetto, le roi décide alors d’utiliser les consignations et les dépôts des notaires pour acheter la dette de l’Etat à travers une toute nouvelle caisse publique dont il garantit l’indépendance politique. Il en profite pour confier aux Députés la responsabilité de la surveillance et de la garantie de cette toute jeune Caisse des Dépôts et Consignations, règles qui restent inchangées plus de 200 ans comme en témoigne l’article L. 518-2 du Code monétaire et financier en vigueur actuellement.
“La Caisse des Dépôts et Consignations est placée, de la manière la plus spéciale, sous la surveillance et la garantie de l’autorité législative.”
Rapidement, il sera décidé d’utiliser l’épargne des Français pour étendre le financement de la CDC, ce qui amènera à la création des caisses d’épargne et du livret A en 1818. A partir de 1905, en échange de cette contribution populaire, la Caisse des Dépôts décide de soutenir la construction de logements sociaux, une activité qui reste encore aujourd’hui la plus connue du grand public.
Mais en 2023, la CDC, c’est beaucoup plus que cela, en partie à cause de l’origine et de la nature de ses ressources.
Les ressources de la Caisse des Dépôts
Avant toute chose, il faut savoir que les fonds dont dispose la Caisse des Dépôts proviennent d’un certain nombre de sources bien particulières.
Tout d’abord, comme c’est le cas depuis plus de deux siècles, la CDC est connue pour recevoir l’argent déposé sur les Livrets A, une manne de plusieurs dizaines de milliards d’euros (67 milliards d’euros en juin 2022 sur un encours total de près de 400 milliards) que la caisse va ensuite investir sur différents marchés. Elle gère aussi de l’argent provenant des plans et comptes épargne logement (33 milliards d’euros) et de divers autres comptes à vue ou placements à régimes spéciaux, pour un total de 340 milliards d’euros.
A ces sommes viennent ensuite s’ajouter d’autres fonds gérés pour le compte des pouvoirs publics et de plusieurs organismes en France, comme par exemple :
- les excédents budgétaires et les fonds de réserve de l’Etat,
- les fonds de la Sécurité sociale, qui sont utilisés pour financer les différents régimes de protection sociale en France,
- les fonds publics destinés au financement des universités et des hôpitaux,
- les fonds de la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales (CNRACL),
- les fonds de la Caisse nationale de retraite des instituts d’enseignement (CNR) pour les enseignants du secondaire et du supérieur en France,
- les fonds de la Caisse nationale de retraite des militaires d’active (CNRMA),
- etc.
Compte tenu de la nature sensible, et même parfois politiquement stratégique, de ces différents capitaux, la CDC est soumise à un contrôle rigoureux par les autorités publiques, et elle doit respecter des normes strictes en matière de transparence et de responsabilité financière.
Il en va de même de ses attributions car, contrairement à une banque classique, elle n’est pas libre de faire ce qu’elle veut – et encore moins n’importe quoi ! – avec tout cet argent.
Les attributions de la Caisse des Dépôts
Dans la définition de son rôle, la CDC est donc un établissement public financier dont la mission est de gérer les fonds qui lui sont confiés de manière sûre et responsable, en veillant à leur protection et en les investissant de manière stratégique pour soutenir le développement économique et social de la France. Mais une fois qu’on a dit cela, on n’a pas beaucoup avancé..
En réalité, la CDC est un acteur incontournable de l’appareil économique français, que ce soit directement ou par l’intermédiaire de ses nombreuses filiales dont la Banque Publique d’Investissement (BPI France) qui accompagne et finance des milliers d’entreprises chaque année (plus de 50 milliards d’euros distribués en 2021).
Au-delà de ce rôle d’aide au financement de l’économie, la CDC conserve bien sûr sa mission historique en faveur de la construction de logements sociaux, mais elle a depuis longtemps étendu son implication dans un grand nombre de programmes immobiliers d’envergure, en France comme à l’étranger.
Beaucoup plus en prise avec le quotidien des Français qu’on pourrait l’imaginer, que ce soit en direct ou à travers ses filiales (La Poste, Icade, Compagnie des Alpes,…), la Caisse des Dépôts c’est aussi de l’assurance (CNP Prévoyance), de la distribution de gaz et d’électricité (GRTGaz, RTE), de l’ingénierie de la construction à l’échelle internationale (Egis), du transport de passagers (Transdev), ainsi qu’un grand nombre d’autres activités liées à l’environnement, la biodiversité, la finance éthique et durable, etc. Sans oublier l’évolution et la reconversion professionnelles puisque la CDC assure la gestion du compte personnel de formation ou CPF.
Elle est également chargée de la conservation de biens culturels et patrimoniaux, tels que des archives et des bibliothèques (numérisation de centaines de milliers d’œuvres de la Bibliothèque Nationale de France et de la Réunion des Musées nationaux, par exemple, ou encore restauration au format numérique des collections de films historiques Gaumont…) et a permis aux professionnels de la culture de résister aux conséquences économiques de la pandémie de Covid-19. La CDC investit aussi dans des projets publics, tels que des infrastructures et des programmes de recherche, et soutient le développement de nouvelles technologies en investissant dans des start-ups innovantes.
Enfin, la Caisse de Dépôts conserve un certain nombre de fonds publics, en particulier des fonds d’épargne retraite (on l’a vu plus haut), mais aussi les fonds de garantie des épargnants ainsi que les fonds de solidarité pour le logement.
En somme, la CDC s’efforce de conserver et de faire fructifier les fonds qui lui sont confiés, tout en soutenant le développement économique et social de la France. Une mission qui n’apparaît pas toujours aisément dans toutes ses décisions et qui, parfois, peut prêter à controverse.
Une action parfois critiquée
Parce qu’elle reçoit principalement de l’argent public et en provenance des épargnants, la Caisse des Dépôts peine parfois à justifier certaines opérations comme, récemment, la prise de participation dans la chaîne de restauration rapide Quick. De la même façon, la décision de racheter 50,2% de la société Orpéa est diversement appréciée par les observateurs, au motif que ces investissements dans des entreprises privées sont en conflit avec son rôle de gestionnaire de fonds publics.
En réalité, la CDC justifie ces rachats ou ces participations en arguant de leur intérêt général ; parce qu’elles permettent le maintien ou la création d’emplois, par exemple, ou encore favorisent le développement d’un secteur d’activité ou la préservation de l’expertise française dans un domaine donné. La CDC peut également racheter des entreprises en difficulté pour les aider à se restructurer et à retrouver une situation financière saine, ou encore pour les aider à accéder à de nouveaux marchés.
Dans le cas d’Orpéa par exemple, la dimension économique est secondaire par rapport à l’importance sociale d’un groupe qui gère plus de 1000 établissements dans 23 pays, représentant 71 000 salariés et hébergeant environ 120 000 pensionnaires. Difficile de laisser ce genre d’entreprise faire faillite, au risque de voir des dizaines de milliers de personnes âgées plus ou moins dépendantes sans aucune solution de repli.
Enfin, il peut également y avoir des controverses quant à la transparence et à la responsabilité de la CDC dans ses décisions d’investissement et la gestion des fonds publics. Certains scandales ont laissé des traces, comme lorsqu’en 2011, la Caisse des Dépôts a été impliquée dans une affaire de corruption liée à ses activités d’investissement dans des sociétés immobilières. A l’époque, plusieurs de ses dirigeants et employés avaient été inculpés pour corruption, abus de biens sociaux et blanchiment d’argent : certains avaient reçu des pots-de-vin pour accorder des financements à des sociétés immobilières, et d’autres avaient accepté des cadeaux coûteux ou des avantages financiers pour favoriser certaines entreprises dans les plans d’investissements de la caisse.
Des évènements, certes graves, mais exceptionnellement rares qui ont surtout permis la mise en place de mesures visant à renforcer les contrôles internes. D’une manière générale, même si elle reste très discrète, la CDC joue depuis des décennies un rôle important dans de nombreux projets qui ont eu un impact positif sur la société française, à commencer par la construction de logements sociaux, mais aussi le soutien à l’innovation et la protection des fonds d’épargne des citoyens.
Auteur et consultant depuis plus de vingt ans dans le domaine de la communication stratégique, il a plusieurs fois travaillé pour le compte d'entreprises financières dont il décrypte aujourd'hui les coulisses et les mécanismes économiques de base à l'intention du plus grand nombre.