Au début de l’année 2023, l’industrie du cinéma décidait, une fois encore, de nous donner sa vision quelque peu manichéenne de la finance mondiale en utilisant à la fois les ressorts scénaristiques à la mode (intelligence artificielle, menaces de destruction de l’économie planétaire, terrorisme numérique) et les poncifs du genre (méchants gangsters d’Europe de l’Est, héros charismatique, organisation secrète).
Petite subtilité en revanche, on s’aperçoit finalement que toute l’intrigue du film tourne autour d’une seule chose, l’or.
Ce qu’il faut retenir :
- Opération Fortune : Ruse de Guerre est une parodie à moitié consciente de la franchise Mission: Impossible, mi-thriller mi-comédie.
- L’intrigue réside sur la capacité d’une IA à détruire les marchés boursiers pour y substituer une nouveau modèle financier basé sur l’or.
- L’or semble cumuler en effet toutes les qualités d’une vraie monnaie honnête et solide.
Toutefois, bien que l’or ait encore toute sa place dans l’économie du XXIe siècle, en qualité de valeur refuge notamment, il est peu probable que le métal précieux puisse un jour retrouver son rôle de monnaie, car une ressource finie ne saurait accompagner une croissance potentiellement infinie.
Mise en garde et informations techniques à l’intention des cinéphiles
À ce stade de l’article, j’en ai déjà presque trop dit et je tiens à prévenir les lecteurs qu’il est fort possible que ce qui va suivre dévoile tout ou partie de l’intrigue de ce chef d’œ… de ce film. Néanmoins, je pense sincèrement que, même en connaissant à l’avance l’essentiel du pitch qui a dû demander au scénariste au moins 7 minutes de travail acharné, vous pourrez toujours profiter des formidables scènes d’action et de l’incroyable jeu d’acteur des différents protagonistes qui ne manqueront pas de vous divertir.
Donc, ne boudez pas votre plaisir si vous avez l’occasion de voir ce film. Il est disponible en France sur la plateforme Amazon Prime Vidéo.
Techniquement, ce film fait partie de ceux qui héritent de l’étiquette « Comédie » a posteriori, parce que c’est généralement la manière la moins désobligeante de faire comprendre au réalisateur qu’il a raté son coup. En effet, lorsque que Guy Ritchie réalise Opération Fortune : Ruse de guerre (qui devait d’ailleurs s’appeler Five Eyes, même si je cherche encore une quelconque référence à un nombre impair de globes oculaires…), il veut surtout surfer sur le succès de la franchise Mission: Impossible. Avec peut-être quelques références à James Bond, mais là encore, pas totalement maîtrisées.
Pour incarner le héros de son thriller d’espionnage, le réalisateur fait appel à Jason Statham. Alors certes, ce n’est pas Tom Cruise, mais il n’en est pas moins bon acteur. Et surtout le comédien est bankable : son seul nom suffit en effet à attirer bon nombre d’amateurs de films d’action dans les salles obscures, et après tout c’est qu’on cherche.
C’est quoi l’histoire d’Opération Fortune ?
Comme il est d’usage dans ce genre de film qui ne doit pas s’embarrasser de complexité excessive, le pitch est assez limpide. Le héros du nom d’Orson Fortune (oui, c’est de là que vient le titre du film…), joué par un Jason Statham monolithique qui essaie en vain de mimer le raffinement exigeant d’un Roger Moore des années 70, est chargé par le MI6 (services secrets britanniques) de retrouver une mallette contenant une « arme terrifiante » basée sur l’intelligence artificielle, laquelle a été dérobée par de méchants criminels ukrainiens qui risquent de la revendre au plus offrant. On apprendra par la suite que cette « arme » est en réalité un dispositif numérique capable d’anéantir (???) tout le système financier mondial.
Je passerai rapidement sur les acolytes du héros, car leur participation ainsi que leurs « compétences » semblent aussi stéréotypées que très moyennes, alors qu’ils sont censés être les meilleurs agents du monde (sic.). Et je vous épargnerai les rebondissements à base d’équipe concurrente, de gentils qui sont en réalité méchants et de fusillades aléatoires dans lesquelles, à part les héros, tous ceux qui tiennent une arme à feu auraient visiblement beaucoup de mal à toucher une vache dans un couloir.
Bon, ça castagne quand même de temps en temps, pas toujours à bon escient, mais l’ensemble donne un film d’action assez correct, qui peut aider à faire passer un dimanche après-midi pluvieux, avec quelques trouvailles intéressantes (par exemple, la cible des agents finit par devenir leur allié). Mais on comprend surtout pourquoi ce film produit en 2021 n’est sorti qu’en 2023, alors qu’il était prévu pour début 2022. En effet, parler de « méchants ukrainiens » pile poil au moment où Vladimir Poutine décidait d’envahir l’Ukraine, voilà qui risquait de ne pas être du meilleur goût.
Quand l’or devient le point central de l’histoire [spoiler alert !]
Là où le film devient original (enfin, pour notre époque), c’est qu’il oppose la plus moderne des technologies à la plus ancienne des sources de richesse. Tout le projet machiavélique des vrais méchants de l’histoire (qui ne sont pas les Ukrainiens en fait, simples exécutants sans finesse finalement) repose sur leur volonté de devenir les individus les plus riches du monde (bon, jusque là, rien de nouveau sous les projecteurs) en utilisant l’IA dérobée afin de faire s’effondrer tout le système financier de la planète, lequel n’est plus basé que sur du vent, des octets et de la confiance dans des dettes qui ne seront jamais remboursées.
ATTENTION ! Je sais que c’est ce qu’on répète souvent sur VeraCash, mais promis, nous ne sommes pour rien dans ce projet.
Mais, me direz-vous, comment devenir les plus riches du monde si la finance mondiale n’existe plus ?
Grâce à l’or !
En effet, les génies du crime dont il est question dans ce film ont pris la précaution d’acheter des tonnes et des tonnes d’or avant de mettre leur plan à exécution. Et une fois les monnaies fiduciaires réduites à néant, leur pari est qu’il ne faudrait pas attendre bien longtemps pour que l’or redevienne la référence en matière financière, retrouvant alors le rôle qu’il a toujours eu depuis des millénaires, et qu’il avait encore à une époque pas si lointaine.
Ainsi, avec leurs tonnes d’or patiemment accumulées au fil des années, les instigateurs de ce plan diabolique deviendraient alors archi-multi-milliardaires ! Voire les hommes les plus riches de la planète ! (insérer ici le rire sardonique du méchant qui voit déjà l’aboutissement de son projet)
Un tel scénario est-il réaliste ?
On l’a vu, tout le film, toute la tension scénaristique, tout le défi réside donc dans la nécessité d’empêcher le retour à une économie basée sur le réel. Mais plus sérieusement, même si on s’éloigne de la vision simplificatrice de l’oeuvre cinématographique dont je viens de faire une critique un peu exagérée (je l’avoue), le postulat selon lequel l’économie mondiale ne tient qu’à un fil et pourrait être brusquement remplacée par une finance basée sur l’or n’est quand même pas très crédible.
Alors oui, le principal point faible d’une économie globalisée comme la nôtre, c’est qu’il suffirait de frapper assez fort l’un des fondements du système pour qu’il s’effondre et entraîne avec lui tout le château de cartes.
Mais c’est nier l’existence d’un grand nombre de garde-fous mis en place par les banques centrales, notamment pour assurer la pérennité du système monétaire mondial, y compris en cas de destruction d’un de ses piliers. Et c’est aussi imaginer, à tort, que tout le pouvoir économique mondial est centralisé et qu’il suffit d’une IA bien programmée pour aller s’infiltrer dans le système et tout détruire. Là encore, il y a des procédures de cloisonnements et de redondance qui évitent les risques d’un tel emballement dévastateur.
Néanmoins, si le scénario du film n’est guère réaliste, il reflète pourtant une préoccupation croissante à laquelle de plus en plus de gens ne voient d’autre réponse qu’un retour à une économie “saine”, une monnaie “honnête” et une finance “tangible”. Trois critères qui semblent parfaitement correspondre à ce que l’or pourrait permettre.
L’or a-t-il encore sa place dans la finance du XXIe siècle ?
Cette question n’agite pas que le milieu cinématographique ou même littéraire. Au contraire, elle revient régulièrement au centre des débats lorsqu’on évoque la fragilité du modèle économique actuel, lequel est désormais basé sur des devises exclusivement fiduciaires ainsi que sur des marchés financiers qui ne mesurent plus la réalité des performances mais, là encore, la confiance dans les prévisions publiées par les entreprises.
Et c’est un problème qui préoccupe suffisamment les grandes instances mondiales pour que la plupart des principales banques centrales achètent régulièrement de l’or depuis plus de 15 ans maintenant, dans une stratégie qui vise à renforcer la stabilité économique de leur pays, à diversifier ses actifs et à le préparer aux incertitudes futures.
L’or est en effet :
- une valeur refuge : il conserve sa valeur mieux que d’autres actifs au milieu des turbulences des marchés ;
- une garantie d’indépendance face aux devises étrangères (notamment le dollar) ;
un outil de diversification ne présentant qu’une faible corrélation avec les autres actifs financiers ; - une protection contre l’inflation.
Mais c’est aussi un gage de crédibilité, car une grande quantité d’or permet de renforcer la confiance dans la monnaie du pays (et par extension dans son économie), en assurant une certaine influence sur la scène financière internationale.
Par conséquent, l’or est toujours aussi important qu’il a pu l’être par le passé, mais de là à (re)devenir la référence ultime en matière de monnaie, c’est moins évident.
L’or peut-il redevenir le référent universel de la monnaie ?
Dans le film, les instigateurs du plan machiavélique destiné à détruire l’ensemble des marchés boursiers de la planète sont censés avoir amassé “des quantités phénoménales” de métal précieux pour s’assurer la maîtrise totale du futur système monétaire mondial basé sur l’or.
Sauf qu’on apprend quelques minutes avant le dénouement final que les méchants ont acheté pour… 40 milliards de dollars d’or ! Soit, au cours actuel, environ 688 tonnes d’or.
Sachant que rien que les réserves de la Banque de France s’élèvent à près de 2400 tonnes de métal jaune (ou 150 milliards de dollars), on se dit qu’il y a quand même peu de chances pour que les malfaiteurs puissent imposer quoi que ce soit à tous les autres pays du monde, même si l’or retrouvait son statut d’étalon monétaire.
Mais surtout, rien ne dit que leur plan réussisse, car la première condition pour un retour à l’étalon-or résiderait d’abord et avant tout dans un consensus international. Il n’y aurait qu’une volonté politique forte, émanant des plus grandes puissances économiques du monde, pour que le métal précieux soit de nouveau considéré comme le référent universel de la monnaie.
Et on l’a vu, ce ne sont pas les 688 tonnes d’or des méchants du film qui pourront décider quoi que ce soit face aux quelque 35 000 tonnes (estimation basse !) détenues par les banques centrales et institutions financières internationales.
Du reste, si le monde financier a abandonné l’or comme sous-jacent monétaire c’est pour plusieurs raisons, et en particulier parce qu’une ressource finie peut difficilement accompagner une économie en perpétuelle croissance (et potentiellement infinie).
Sans compter que pour garantir l’ensemble de la monnaie en circulation dans le monde (81 milliards de milliards de dollars), la valeur de l’or exploserait littéralement dans des proportions qui rendraient le système tout simplement inutilisable, car il faudrait négocier sur la base de quantités bien trop infimes de métal pour échanger des sommes cohérentes avec l’économie réelle.
Par exemple, 40 ans de salaire moyen à 2000 euros par mois, soit toute une vie de travail, représenteraient environ… 2,5 milligrammes d’or.
Auteur et consultant depuis plus de vingt ans dans le domaine de la communication stratégique, il a plusieurs fois travaillé pour le compte d'entreprises financières dont il décrypte aujourd'hui les coulisses et les mécanismes économiques de base à l'intention du plus grand nombre.