L’once constitue aujourd’hui la plus petite unité officielle de masse d’or. Et pourtant, aussi étrange que cela paraisse, cette once ne pèse pas vraiment une once telle que définie dans le système de mesure des (rares !) pays qui l’utilisent encore. 

Comment est-ce possible ? La faute en incomberait à quelques marchands de foire champenois du Moyen-Âge.

L’once résiste au Système International des unités de mesure

Depuis la fin du XIXe siècle, la plupart des pays du monde se sont accordés sur un ensemble d’unités de mesures concernant les principales dimensions et caractéristiques physiques de la matière : taille, masse, volume, poids, conductivité électrique, vitesse, puissance, etc. En 1960, cette convention prend le nom de Système International d’unités (ou SI) et ses différentes constantes (le mètre, le gramme, la seconde…) sont régulièrement affinées au gré des nouvelles découvertes scientifiques. La dernière mise à jour est d’ailleurs toute récente puisqu’elle date de 2019. Tout serait parfait dans le meilleur des mondes s’il n’y avait pas un ou deux grains de sable pour venir parfois gripper cette belle mécanique.

Un Système International… mais pas complètement

Premier grain de sable, trois pays n’ont pas officiellement reconnu le SI — et donc, ne l’utilisent pas — à savoir le Libéria, la Birmanie… et les Etats-Unis ! Et quand l’une des premières puissances économiques et commerciales de la planète refuse d’utiliser un système reconnu et déployé partout ailleurs, ça pose parfois quelques soucis. 

Surtout que l’unification des unités avait justement comme premier objectif de faciliter le commerce en supprimant les erreurs et les approximations qui ne manquaient pas d’arriver lorsqu’il fallait, par exemple, convertir des quantités entre plusieurs zones géographiques qui n’utilisaient pas le même système de mesure. A noter que beaucoup de pays anglo-saxons et du Commonwealth, en particulier le Royaume-Uni et l’Australie, n’ont en réalité affiché qu’une adhésion de principe au Système international, et continuent à lui préférer largement (pour ne pas dire presque officiellement) le même système que les Américains, à base d’onces, de livres ou de pouces, et qu’ils appellent Système impérial.

Quand histoire et tradition sont plus fortes que la normalisation

Deuxième grain de sable : certains domaines de l’activité humaine restent farouchement attachés à des mesures traditionnelles dont il devient de plus en plus compliqué de trouver des justifications autres que nostalgiques. Et qui compliquent parfois singulièrement les calculs comme les comparaisons. 

Par exemple, la production de pétrole se mesure en barils, soit 159 litres, en souvenir des premiers tonneaux que l’on trouvait à Pechelbronn, en Alsace, et qui servaient à recueillir la production de l’une des premières exploitations pétrolières du monde en 1735. Autre exemple, les diamants et autres gemmes se pèsent encore de nos jours en carats, soit 0.2g, en référence lointaine à la graine de caroube, le fruit d’un petit arbre méditerranéen dont les graines reconnues (à tort !) comme relativement régulières servaient justement de poids pour mesurer les quantités de denrées dès l’Antiquité.

Enfin, l’or, métal précieux par excellence, continue malgré son importance dans les marchés financiers internationaux, à être fractionné en onces. Mais des onces de 31,1034768 g. Et c’est là que ça devient un problème, parce qu’une once, pour les pays qui continuent à utiliser le Système Impérial, pèse 28,35 grammes. D’où vient alors cette once de 31 grammes et des poussières ?

On ne parle pas de la même once

Pour les puristes, une once représente le douzième d’une livre. Mais chose amusante, le mot « once » vient de l’ancien terme onza (d’où le symbole « oz », d’ailleurs) qui rappelle plutôt le nombre « onze », et pas vraiment le « douze ». On trouve plusieurs raisons possibles à cela, mais l’une d’elles, assez probable, remonte à l’époque Romaine.

Onze graduations pour une livre de douze onces ?

En effet, sur les marchés, la première préoccupation des commerçants comme des clients a toujours été de se mettre d’accord sur le poids des marchandises échangées. D’où l’invention des balances, qui au temps des Romains, étaient généralement constituées d’une longue tige de bois ou de métal (le fléau) séparée en deux branches de tailles par une anse qui servait aussi à la suspendre. A l’une des branches, on fixait un poids de référence ; à l’autre, on suspendait les produits destinés au client à l’aide d’un crochet qu’on faisait coulisser de graduation en graduation jusqu’à trouver l’équilibre qui marquait donc le poids réel des marchandises. Ce système a perduré pendant très, très longtemps, et on peut encore trouver sur eBay de vieilles « balances romaines » qui servaient encore aux marchands de foire du début du XXe siècle.

Ces balances « récentes » étaient bien évidemment basées sur le système décimal afin de mesurer des masses en grammes et kilogrammes. Et sur la plupart d’entre elles, on peut voir qu’elles comportaient 9 graduations permettant par exemple de peser les fruits et légumes en déplaçant le plateau d’une encoche à l’autre, chacune représentant 100 grammes, jusqu’à l’équilibre ; une dixième graduation devenant inutile puisqu’il s’agissait de l’extrémité du fléau, et qu’il suffisait alors d’ajouter un poids supplémentaire dans le plateau de référence pour passer au kilogramme suivant.

Dans l’Antiquité, on ne calculait pas les masses en base 10 mais plutôt en base 12, avec la livre comme unité de référence. On peut donc raisonnablement supposer que les balances de l’antiquité fonctionnaient elles aussi sur cette base et comportaient donc 11 graduations intermédiaires, chacune correspondant ainsi à … une once.

Une première unification avec le système avoirdupois

Parfait, on sait maintenant pourquoi une once s’appelle ainsi, mais ça ne répond pas à la question initiale : la différence de poids entre l’once d’or et l’once tout court. En réalité, l’once a pris un grand nombre de valeurs, généralement situées entre 23 et 33 de nos grammes actuels, suivant l’époque et la région concernée. Toutefois, un certain consensus s’est établi dès la fin du Moyen Âge autour d’un système de masse unifié basé sur la livre avoirdupois qui reste encore aujourd’hui la référence utilisé aux États-Unis et, comme on l’a dit plus haut, à des degrés divers, dans la vie quotidienne au Royaume-Uni, au Canada, en Nouvelle-Zélande, en Australie ou encore dans certaines anciennes colonies britanniques. Cette livre avoir dupois (1 lb) correspond très exactement à 453,59237 grammes, divisé en… 16 onces de 28,349523125 grammes. 

Bon, c’est vrai, exit l’once en tant que « douzième partie d’une livre« , mais nous avons désormais une mesure unifiée pour tous qui nous dit qu’une once correspond désormais à environ 28,35 g.

Sauf pour l’or.

L’once troy, concession moyenâgeuse aux riches clients anglais de la ville de Troyes

Alors que le système « avoirdupois » se développait un peu partout en Europe, la ville de Troyes, en Champagne était déjà reconnue pour ses foires, qui voyaient affluer marchands et acheteurs de tout l’Occident, entraînant au passage le développement local de nombreux métiers industriels comme le textile, la tannerie, la papeterie, la teinturerie et… l’orfèvrerie. 

On pense dès lors que la ville devint même une place importante du commerce de métaux précieux en Europe, et comme l’essentiel de leurs riches acheteurs venaient d’Angleterre, mais aussi d’Allemagne ou de Hollande, les autorités de la ville ont volontairement privilégié le système de poids et mesures qui était alors en vigueur dans ces pays depuis très longtemps pour calculer le poids de l’or, de l’argent, mais aussi des remèdes médicinaux (!), afin de simplifier les échanges commerciaux les jours de foires. Ce système dérivé de la mesure romaine, était alors basé sur une livre de 373,24 grammes divisée en 12 onces de 31,103 grammes chacune.

Nous y sommes !

Et afin de ne pas être confondue avec l’once « officielle » du système avoirupoid, cette « once » réservée aux métaux précieux prit dès lors le nom d’once troy, en l’honneur de la ville de Troyes.


Bruno GONZALVEZ

Auteur et consultant depuis plus de vingt ans dans le domaine de la communication stratégique, il a plusieurs fois travaillé pour le compte d'entreprises financières dont il décrypte aujourd'hui les coulisses et les mécanismes économiques de base à l'intention du plus grand nombre.