Si je vous demande d’où vient l’argent métallique, vous allez probablement me parler de mines ou de filons, et les plus avisés d’entre vous iront même jusqu’à préciser des localisations géographiques en particulier, comme le Mexique, le Pérou, l’Australie ou la Pologne.
Et c’est vrai que ces pays font partie des endroits les plus riches de la planète en minerai d’argent. Mais moi je vous parle des racines les plus anciennes du noble métal, celles qui expliquent qu’on le retrouve justement ainsi réparti dans la croûte terrestre.
En fait, sans véritable surprise, l’argent métallique partage les mêmes origines cosmiques que son grand frère doré, et je vais tenter de vous résumer le processus qui a permis l’apparition du métal blanc sur Terre ainsi que les différentes formes sous lesquelles on le trouve.
Comment l’argent s’est-il formé ?
On l’a dit, l’argent est né dans les étoiles. Mais si on a envie d’aller un peu plus loin que cette affirmation laconique et découvrir la manière dont cela s’est déroulé, il faut remonter à une époque très, très lointaine. Plus exactement, il y a 13.8 milliards d’années.
Avant l’argent – il était une fois le chaos
À l’origine, on suppose que notre univers concentrait les éléments primordiaux de toute la matière connue à ce jour dans un volume 100 000 milliards de fois plus petit qu’un noyau d’hydrogène. Ne cherchez pas à imaginer, c’est juste impossible de se le représenter. Tout ce qu’on peut deviner, c’est que l’Univers devait alors se trouver dans un état de densité et de température extrême qui ne permettait sans doute pas une stabilité permanente.
C’est pourquoi quelque chose a fini par se produire — beaucoup l’appellent le Big Bang — qui a provoqué une expansion brutale et massive de cet univers dans toutes les directions à une vitesse inimaginable, des milliers de fois plus grande que la vitesse actuelle de la lumière. Physiquement, cela pourrait s’apparenter à une explosion prodigieuse (d’où le terme « Big Bang »), mais la réalité est bien plus complexe.
Quoi qu’il en soit, c’est à partir de cet instant que les premiers protons et neutrons se sont formés, toujours plus nombreux à mesure que l’Univers prenait de la place. Trois minutes à peine après « l’explosion » originelle, l’Univers mesure déjà plusieurs centaines d’années-lumières, et sa température est suffisamment descendue (1 milliard de degrés Celsius environ) pour que certains protons commencent à s’assembler par paires et attirent une paire de neutrons, constituant ainsi des noyaux d’hélium ; les protons restant isolés formant alors des noyaux d’hydrogène.
Une année-lumière correspond à la distance parcourue par la lumière en une année, à la vitesse d’environ 299 792 kilomètres par seconde.
Soit une distance de 9 461 milliards de kilomètres.
Que la lumière soit – apparition de l’argent
100 millions d’années plus tard, l’Univers est parsemé d’énormes boules de gaz constituées d’atomes d’hélium et d’hydrogène qui se sont agglomérés au fil du temps. De plus en plus denses et sous pression, ces gigantesques amas gazeux finissent par s’enflammer : les premières étoiles viennent de s’allumer. C’est au coeur de certaines d’entre elles, tandis qu’elles consomment leur hydrogène puis leur hélium à vitesse grand V, que se forment alors des éléments plus lourds ; lesquels, par l’effet de la gravité, s’enfoncent toujours plus profondément dans le noyau stellaire, faisant à nouveau grimper la densité, la température et la pression.
Très vite (quelques millions d’années) ces étoiles primitives arrivent donc à court d’hydrogène et d’hélium qu’elles ont convertis en carbone, puis en néon, en oxygène, en silicium et enfin en fer. Devenues trop denses en raison de cette première nucléosynthèse, mais aussi trop chaudes et renfermant trop d’éléments sous pression, ces étoiles mourantes explosent alors en supernovae, amorçant enfin le processus de création des métaux lourds, et en particulier de l’argent.
En effet, l’énergie considérable déployée à l’occasion de ces explosions permet aux noyaux atomiques expulsés de capturer rapidement de nombreux neutrons libérés en même temps qu’eux, fusionnant en éléments plus massifs et plus stables. Parmi eux, on trouve la plupart des métaux lourds, mais aussi les métaux précieux comme l’or et l’argent.
Dispersés dans le milieu interstellaire, tous ces matériaux enrichis contribueront ensuite à la formation de nouvelles générations d’étoiles plus stables, mais aussi de systèmes planétaires, y compris le nôtre.
La répartition de l’argent métal sur Terre
Nous voilà donc chez nous. Ou presque.
Il y a environ 4,6 milliards d’années, un nuage de gaz et de poussières contenant les éléments nés des supernovae originelles évoquées précédemment commence à s’organiser pour former ce qui deviendra notre système solaire.
Sous l’effet de la gravité, tous ces atomes se répartissent peu à peu pour former un disque de matière qui se met à tourner sur lui-même. Au centre, le futur soleil accumule de la chaleur et de la pression tandis que, tout autour, les éléments qui ne sont pas captés par ce qui deviendra notre étoile s’agglutinent ici ou là pour former les futures planètes.
D’un côté, les planètes gazeuses (Jupiter, Saturne, Uranus, Neptune), constituées majoritairement d’hydrogène et d’hélium, souvent autour d’un tout petit noyau métallique. Et de l’autre, les planètes dites telluriques ainsi que des milliards de petits corps rocheux et autres astéroïdes, essentiellement composés de carbone, de silicium et de nombreux métaux.
Parmi ces corps solides, la Terre, dont la croûte refroidit peu à peu en emprisonnant les quelques parcelles d’argent métallique qui n’ont pas coulé vers le noyau.
Car bien qu’il s’agisse d’un métal particulièrement dense, l’argent métallique ne s’est pas directement enfoncé vers le noyau de la Terre. Au contraire, il s’est réparti de manière inégale entre la croûte et les couches plus profondes en raison de sa réactivité chimique et de sa solubilité dans les liquides silicatés qui constituent la majorité du manteau terrestre en fusion. Cela ne le rend plus accessible pour autant, sauf pour l’infime proportion (0,1 %) qui est restée piégée dans la croûte supérieure et que l’on retrouve aujourd’hui dans les mines à travers le monde.
D’ailleurs cet argent ne se retrouve quasiment jamais seul, il est presque toujours présent sous forme de minerais en association avec le plomb, le cuivre, et d’autres métaux, en raison de processus géologiques tels que la cristallisation fractionnée et la tectonique des plaques, parfois favorisés par l’activité hydrothermale de certaines zones.
Autant de processus qui ont entraîné la concentration de l’argent dans certaines zones en particulier, où il s’est combiné avec d’autres éléments pour former des composés plus complexes qui ont pour ainsi dire « flotté » près de la surface de notre planète en fusion.
C’est l’une des raisons pour lesquelles les principaux gisements se trouvent près de zones de grande activité géologique, comme les ceintures de montagnes et les bords des plaques tectoniques.
L’argent, un métal en voie de disparition ?
Très tôt dans l’histoire humaine, l’argent a tenu une place très particulière, tout comme l’or, en raison notamment de son aspect mais aussi de sa rareté et de ses propriétés physico-chimiques.
Dès l’Antiquité, l’extraction de l’argent constituait une activité essentielle pour les sociétés qui avaient besoin de ce métal précieux, non seulement pour fabriquer de la monnaie, mais aussi pour honorer les dieux, en tirer des pigments décoratifs, voire parfois élaborer des préparations thérapeutiques.
Plus tard, des solutions argentiques ont accompagné l’évolution des sciences et des techniques, comme l’électricité ou la photographie.
Et depuis plus récemment, ce sont des dizaines d’applications technologiques et industrielles qui nécessitent l’usage de l’argent métallique dans des domaines aussi variés que les énergies renouvelables, les biotechnologies et la médecine, l’électronique embarquée et la conduite autonome, etc.
À ce jour, on considère que l’on a extrait environ 1,5 million de tonnes d’argent du sol terrestre… dont une partie non négligeable a disparu et continue de disparaître chaque jour.
En effet, un grand nombre d’utilisations de l’argent conduit à la destruction pure et simple du métal. Certes, dans le cas des bijoux ou des pièces de monnaie, l’argent reste largement récupérable et recyclable. Mais dans d’autres applications, notamment dans certains processus industriels et dans des produits comme les films photographiques, la majeure partie de l’argent utilisé est bien souvent perdue ou détruite.
Quant à ce qu’il reste dans le sous-sol, personne n’a d’idée très précise, car cela dépend non seulement de la quantité totale d’argent effectivement présente, mais aussi de la quantité qui est économiquement et techniquement exploitable. La croûte terrestre mesure une trentaine de kilomètres d’épaisseur, mais le trou le plus profond creusé par l’homme dépasse “à peine” les 12 kilomètres, tandis que la mine la plus profonde du monde (la mine d’or de Tau Tona, en Afrique du Sud) s’enfonce à moins de 4 km de la surface.
Si on imagine une répartition homogène de minerai d’argent dans la croûte terrestre, et qu’on occulte le fait que les métaux lourds ont quand même plus de chance de se retrouver dans les couches les plus profondes du sol, on peut estimer que 90 % de l’argent métallique présent sur Terre sous forme de minerai est totalement inaccessible.
Et comme il y a de fortes probabilités que l’on ait extrait la majeure partie de ce qui était extractible, certains se posent la question d’une possible pénurie d’argent métallique dans les décennies à venir, alors que son usage industriel ne fait que croître et qu’on continue à en détruire à chaque utilisation.
Autant de raisons qui laissent supposer une hausse des cours de l’argent pour les années à venir, sachant que le ratio or/argent est actuellement de 1/78 (une once d’or vaut 78 onces d’argent) alors qu’il était plus proche de sa réalité géologique jusqu’en 1900, à savoir 1/16 environ.
L’argent est donc aujourd’hui clairement sous-évalué et constitue dès lors un métal particulièrement précieux qui pourrait voir sa valeur exploser durablement sous l’effet d’une demande accrue et d’une offre qui risque de s’essouffler par épuisement des gisements.
Ce qu’il faut retenir :
- Tout comme l’or, l’argent dont on fait aujourd’hui des pièces de monnaie ou des bijoux est né au cœur des étoiles il y a des milliards d’années.
- Le processus de création de l’argent a été long et complexe, au gré d’évènements le plus souvent cataclysmiques.
- La Terre s’est formée en intégrant de grandes quantités d’argent métallique, dont la majeure partie s’est enfoncée dans le manteau rocheux en fusion jusqu’au noyau. On estime que seul 0,1 % de l’argent contenu par notre planète se retrouve dans la croûte terrestre.
- Pire encore, 90 % de cet argent est trop profondément enfoui ou trop indissociable d’autres éléments chimiques pour être récupéré.
- En plus de son usage monétaire et comme matériau de bijouterie, l’argent métal est de plus en plus utilisé dans des processus industriels qui ne permettent pas toujours sa récupération ou son recyclage.
- L’argent tend donc à se faire plus rare à mesure que la demande s’accroît et que les réserves encore disponibles dans le sol ne sont pas inépuisables.
Auteur et consultant depuis plus de vingt ans dans le domaine de la communication stratégique, il a plusieurs fois travaillé pour le compte d'entreprises financières dont il décrypte aujourd'hui les coulisses et les mécanismes économiques de base à l'intention du plus grand nombre.