Drainés par la politique de taux négatifs engagés par la Banque centrale européenne depuis quelques années, les taux d’emprunts immobiliers en France n’ont historiquement jamais été aussi bas. Mais contrairement à ce qu’on pourrait croire, ce n’est pas forcément une bonne nouvelle…
Des nouvelles conditions d’emprunt apparemment séduisantes
Il est tentant de voir dans la période actuelle de baisse des taux un véritable coup de pouce à l’investissement dans la pierre. Et c’est vrai que les conditions d’emprunt immobilier n’ont jamais été aussi avantageuses. Actuellement, un emprunteur avec une bonne solvabilité peut facilement obtenir un taux de 0,8 % par an (voire moins !) pour un prêt de 200 000 euros sur 20 ans. La moyenne se situe actuellement entre 1.1 et 1.3 % par an.
A cela il faut ajouter la contrainte que la Banque centrale européenne fait peser sur les banques de détail en les obligeant à consentir davantage de crédits pour utiliser les liquidités qu’elle leur a prêtées. Enfin, pour enfoncer davantage le clou s’il en était encore besoin, le taux d’endettement maximum fixé à 33% depuis des décennies a récemment été relevé à 35%, permettant donc théoriquement à plus de gens d’accéder au crédit.
Sauf que ce nouveau contexte est loin d’être plus favorable aux emprunteurs.
Un taux d’usure trop bas
Le taux de l’usure correspond au taux maximum légal auquel les banques sont autorisées à prêter de l’argent. Dans le cas des crédits immobiliers, ce taux comprend non seulement la rémunération demandée par l’établissement de crédit (le taux d’intérêt net), mais aussi les différents frais de dossier, les éventuelles cautions, ainsi que l’assurance emprunteur. Et c’est précisément là que réside le plus gros problème, car suivant le profil du demandeur, cette assurance peut s’élever rapidement, au point parfois de dépasser le maximum admissible pour autoriser le crédit.
Ainsi, au 1er janvier 2021, le taux d’usure pour les emprunts immobiliers de plus de 20 ans (les plus couramment rencontrés), a été fixé à 2,67%, ce qui signifie qu’en aucun cas le montant des intérêts, des frais de dossier et d’assurance ne peut excéder ce taux. Dans la majorité des cas, ce maximum n’est pas atteint et le crédit est accepté, mais il peut arriver que certaines personnes, en particulier des investisseurs seniors, se voient par exemple appliquer une assurance emprunteur comprise entre 0.8 et 1 %. Dès lors, en comptant les frais de dossier et la caution du prêt notamment, le taux annuel effectif global (TAEG) de leur crédit passe subitement au-dessus du seuil d’usure.
Dans les faits, on note depuis 2019 qu’un nombre croissant de personnes de plus de 50 ans sont exclues du crédit immobilier pour cette raison. Et c’est d’autant plus paradoxal que ce sont ces mêmes personnes qui disposent le plus souvent d’un patrimoine conséquent, offrant les meilleures garanties de remboursement.
Une crise immobilière à moyen terme
Plus grave encore, en écartant les investisseurs potentiellement les plus sûrs tout en favorisant l’accès à la propriété des plus fragiles, notamment par le relèvement du taux d’endettement maximum à 35%, on se prépare surtout à une nouvelle crise de solvabilité dont les répercussions risquent d’affecter durablement le marché immobilier.
En effet, plus de gens qui accèdent au crédit, c’est aussi statistiquement plus d’emprunteurs susceptibles de faire défaut. À plus forte raison dans une période d’incertitude économique comme celle que nous traversons actuellement, avec un taux de chômage élevé et des faillites qui vont se multiplier ces deux prochaines années, après avoir été artificiellement suspendues grâce aux aides exceptionnelles de l’État pour faire face à la pandémie (prêts garantis, fonds de solidarité, reports de charges, etc.)
Lorsqu’une partie non négligeable de ces nouveaux emprunteurs, en particulier ceux dont la fragilité financière aurait dû les exclure du crédit en temps normal, se retrouveront dans l’impossibilité de rembourser leurs mensualités, ils n’auront d’autre choix que de revendre leurs biens. Un nombre important de biens immobiliers risque alors d’arriver sur le marché, face à une demande qui aura peut-être quant à elle fortement baissé à cause de la crise. Mécaniquement, il y a donc de fortes chances pour que les prix s’orientent à la baisse.
Certes, ceux qui auront encore les moyens d’investir y verront probablement une aubaine, mais ce sera surtout une véritable casse sociale pour tous les autres, et plus spécialement pour un grand nombre d’anciens propriétaires qui auront peut-être perdu leurs économies au passage.
Enfin, pour tous ceux qui auront réussi à conserver leurs biens, la baisse inévitable des prix de l’immobilier se traduira très logiquement par une dévaluation durable de leur patrimoine.
[Article 3/3] Retrouvez les deux précédents articles de notre dossier sur les taux négatifs ??
- Taux négatifs : quels conséquences pour l’épargne ?
- Quels mécanismes peuvent expliquer les taux négatifs ?
Auteur et consultant depuis plus de vingt ans dans le domaine de la communication stratégique, il a plusieurs fois travaillé pour le compte d'entreprises financières dont il décrypte aujourd'hui les coulisses et les mécanismes économiques de base à l'intention du plus grand nombre.