En plein débat sur le projet de loi de finance 2024 et 30 ans après le dernier emprunt d’État à destination des épargnants français, certains élus songent à demander une fois de plus aux Français de mobiliser leur épargne volontairement pour aider à redresser le pays.
Ce qu’il faut retenir :
- L’idée d’un emprunt national a été relancée en mars 2023 par un député de la majorité présidentielle dans le cadre du financement de l’effort militaire.
- L’emprunt Balladur de 1993, dernier exemple en date, montre que le succès de ce genre d’opérations n’est pas exempt de critiques.
- La confiance des citoyens envers leur gouvernement est un élément crucial pour la réussite d’un emprunt d’État. Or, la situation actuelle de la France n’est pas idéale sur ce point en particulier.
- La France de 2023 étant très différente de celle de 1993, on pourrait imaginer de nouvelles formes d’emprunts pour contrer les réticences propres à notre époque, mais la priorité des épargnants reste la sécurité de leur capital, ce qui n’est plus garanti par les placements papier, y compris les titres d’Etat.
Après plusieurs années de soutien intensif à l’économie face à la pandémie de Covid-19, suivies d’une lutte contre les effets de l’inflation depuis 2021, les caisses de l’État sont à bout de souffle. Quant à la dette publique, elle a dépassé les 120% du PIB en 2022, avant de revenir aujourd’hui aux alentours de 112%, un niveau jamais atteint depuis la Seconde Guerre Mondiale.
Parallèlement, une chose est claire : les Français ont épargné. Beaucoup. Avec près de 1400 milliards d’euros cumulés, les livrets et comptes courants débordent d’une épargne liquide en quantité inédite. Dans ce contexte, l’idée d’un emprunt d’État pour capter cette manne financière semble séduisante. Mais est-ce vraiment une solution envisageable ?
L’emprunt national, une vieille idée qui refait surface
Emprunt d’État, souscription nationale, quel que soit le nom qu’on lui donne, on pourrait surtout trouver l’idée un peu étrange, voire anachronique à une époque où les banques centrales produisent de la monnaie comme d’autres multipliaient jadis pains et poissons. Après tout, ces dernières années ont démontré que si on avait besoin d’argent, il suffisait de demander.
Mais certains pragmatiques continuent à se méfier des messies monétaires et envisagent toutes les options possibles pour aller chercher l’argent là où il se trouve déjà. À l’instar de Christophe Plassard, député de la majorité présidentielle (plus précisément du parti Horizons d’Édouard Philippe) qui, en mars 2023, a lancé une proposition pour le moins audacieuse : que l’État émette un emprunt à destination des épargnants en vue de soutenir l’effort militaire.
Certes, son projet reste centré sur le financement de l’armée, mais sa proposition soulève quand même une question plus large : dans un contexte économique tendu comme celui que notre pays traverse actuellement, l’État pourrait-il envisager de mobiliser l’épargne des Français pour soutenir son budget général ?
Les enseignements du passé
Pour évaluer la pertinence d’un tel emprunt aujourd’hui, il est instructif de se pencher sur un précédent notable : l’emprunt Balladur de 1993.
Lancé dans un contexte de déficit budgétaire — en même temps, le budget n’a jamais été excédentaire depuis 1974 —, cet emprunt visait à mobiliser l’épargne des Français pour financer les projets d’infrastructure du pays. Edouard Balladur, alors premier ministre, espérait 40 milliards de francs. Il en récoltera plus de 110 milliards. Il est donc clair que l’initiative a rencontré un certain succès en termes de souscription.
Néanmoins, elle n’a pas été sans critiques. Les coûts de publicité et de commission, par exemple, ont été pointés du doigt, certains économistes ayant calculé que l’État en aurait finalement été de 3 milliards de francs de sa poche, une fois tous les remboursements effectués en 1997.
Toutefois, ce n’est pas suffisant pour tirer des conclusions au sujet d’un éventuel emprunt national qui serait lancé aujourd’hui.
On l’a vu, indépendamment des erreurs de calcul assez peu surprenantes de la part d’hommes politiques, l’opération reste un succès. Et l’un des éléments qui a joué en faveur de l’emprunt Balladur a été la communication autour de celui-ci. Bien que coûteuse, la campagne publicitaire a en effet su toucher les Français et les convaincre de l’importance de cet emprunt pour l’avenir du pays.
Et c’est là que la bât blesse. Ou plutôt c’est là qu’il risquerait de blesser si on s’avisait de susciter le même élan “patriotique” aujourd’hui. Car la France de 2023 n’est plus celle de 1993. Trente ans après l’emprunt Balladur, le pays est confronté à un paysage politique et social radicalement différent. La confiance envers le gouvernement est à un niveau historiquement bas. L’essor des mouvements populistes et une société de plus en plus fragmentée rendent l’idée d’un effort national pour un objectif commun beaucoup plus improbable.
L’impact de la confiance sur la réussite d’un emprunt d’État
La confiance des citoyens envers leur gouvernement est un élément crucial pour la réussite d’un emprunt d’État . Si les citoyens ne croient pas en la capacité du gouvernement à gérer efficacement l’argent collecté — et c’est un point de vue largement répandu dans l’opinion publique — , ils seront moins enclins à investir. Cela paraît curieux aujourd’hui, parce qu’on a fini par se persuader que la défiance envers les institutions a toujours été majoritaire en France, mais en 1993, malgré les critiques, le gouvernement bénéficiait sinon d’une relative confiance, du moins d’un certain respect envers sa capacité à gérer les affaires de l’État . L’emprunt Balladur a indéniablement profité de ce contexte plutôt positif.
Aujourd’hui, avec les crises économiques successives de ces dernières décennies, les scandales politiques dévoilés par des outils d’information de plus en plus accessibles aux particuliers, la montée des inégalités, et surtout la perception d’éloignement entre les élites et le peuple, la confiance des Français envers les institutions est brisée.
Il faudrait aujourd’hui, non seulement davantage de communication et de pédagogie pour espérer amener les Français à envisager de prêter de l’argent à l’État, mais aussi beaucoup plus de transparence et de garanties, à plus forte raison dans le contexte actuel de quasi impuissance des gouvernements à lutter contre des mouvements financiers mondiaux sur lesquels ils n’ont plus le moindre contrôle.
Vers une nouvelle forme d’emprunt ?
Face à ces défis, le gouvernement pourrait envisager de nouvelles formes d’emprunt, plus adaptées à notre époque. Par exemple, un emprunt participatif, où les citoyens pourraient choisir directement les projets financés, apparaît comme une solution à la fois séduisante, plus démocratique et innovante. De plus, avec l’essor de la finance décentralisée et des monnaies numériques, de nouveaux dispositifs pourraient voir le jour, offrant plus de transparence et de flexibilité aux épargnants.
Mais le chemin est encore loin pour de telles solutions. Surtout quand on sait que Christine Lagarde elle-même vient d’annoncer que, finalement, l’euro numérique promis à l’horizon 2025 ne sera peut-être pas aussi protecteur et respectueux de la vie privée que ce qui était annoncé. Un bien mauvais message pour convaincre les citoyens que les institutions ne leur veulent que du bien.
L’épargne doit rester sécurisée
Quelle que soit l’époque, la priorité des épargnants reste la sécurité. Or, même si les emprunts d’État (ou les obligations d’une manière générale) sont réputés sûrs, on ne peut nier que les finances d’aujourd’hui sont bien plus fragiles et incertaines que par le passé. Après 50 ans d’économie basée sur l’endettement permanent, et surtout des crises majeures qui ont définitivement sapé la confiance des particuliers dans la capacité de la France à gérer son budget — et ce en dépit d’une pression fiscale de plus en plus considérable —, il semble assez difficile d’imaginer un succès identique à celui de 1993 pour un éventuel emprunt national.
Qu’elle soit de précaution ou de prévoyance, l’épargne doit avant tout sécuriser le patrimoine. À cet égard, les titres de placement papier ont prouvé depuis 2008 qu’ils pouvaient très facilement voir leur valeur réduite à néant en quelques jours. Au contraire de l’or, par exemple, qui reste un actif tangible quoi qu’il arrive et dont la valeur a même tendance à se renforcer durant les périodes difficiles, comme celle que nous vivons actuellement.
Mais attention, on parle bien d’or physique et pas d’or papier. Pour rester dans le domaine des souscriptions populaires organisées par l’État, on se souvient par exemple de l’emprunt Giscard qui, vingt ans avant l’emprunt Balladur, avait été indexé sur le cours de l’or et récolta 6,5 milliards de francs en 1973. Et qui en coûta finalement plus de 90 milliards en intérêts et capital, à cause d’une piètre compréhension de la nouvelle économie qui s’installait suite à la fin des accords de Bretton Woods.
Une mauvaise affaire pour l’État donc, mais aussi pour les épargnants qui, étant également des contribuables, payèrent fiscalement au prix fort l’erreur d’un ministre du budget déjà dépassé par son époque, et qui devint par la suite un président de la République accordéoniste en pleine période disco.
With 20+ years of experience as an author and consultant in the field of strategic communication, he has worked for several financial companies. Now, he unravels their behind the scenes stories, while explaining the basic economic mechanisms to the general public.